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UN PROBLEME DE STYLISTIQUE ANTHROPOLOGIQUE: “LA GROTTE INTERIEURE”
Autrefois, ceux qui voulaient connaître leur destin allainet a Delphes. Sur le petit temple dédié a Apollon on pouvait lire les mots: “Tu es.” Sur le fronton de la demeure sacrée était écrit: “Connais-toi toi-meme.” La demeure était bâtie au-dessus d’une grotte. Son emplacement avait été choisi grâce a l’ivresse de quelques chevres égarées, lesquelles devinrent folles en inspirant les vapeurs malsaines sortant de l’ouverture noire de la terre. Le plus célebre oracle de l’histoire puisait son inspiration dans une grotte.
La vie des humains dépendit, dans des temps immémoriaux, d’une autre grotte. Et pas seulement la leur. La mort et la vie des fruits de la terre dépendirent d’une caverne. On se rappelle que Déméter, la déesse de l’agriculture et des céréales, était poursuivie par les amours de Neptune. C’est ainsi que fut engendré le coursier Arion. La belle déméter prit le deuil et se retira pour pleurer sa mythique tristesse dans une grotte. Tout le temps qu’elle u séjourna, la Terre fut ravagée par un mangue inoui de nourriture. A la fin, les Parques, parvinrent a adoucir la décision de la déesse, et sauver les hommes de la famine. Encore une fois, la mort et la vie paraissent dépendre d’une grotte.
Pour cette raison, probablement, les mysteres d’Héra, d’Attis et de Cybele, de Muthra sont tous liés a des grottes. En Ourartou, les dévis vivaient, dans les grottes, les esprits féminins, les hambarouches, aussi, de meme que les esprits-gardiens des sources, les vichaps1. Aux Indes, on a creusé des grottes artificielles pour arbitrer des temples: Bedsâ, Nâsik, Karli, Bhâjâ, Ajantâ.
Chez nous aussi on a le gout de la grotte. Le prophete des Daces en habitait une. Et, a ce qu’il paraît, il ne fut pas le dernier a le faire., car ce serait tout au moins curieux de voir réapparaître ce penchant pour la caverne, comme lieu de culte, dans le Moyen Âge, s’il n’y avait pas une continuité traditionnelle. Or, durant le Moyen Âge, on creuse sur notre territoire des grottes artificielles qui nous restent comme d’impressionnantes ruines (dans les montagnes de Buzău, par exemple, Fundătura, Agaton, Iosif, Dionisie, toutes sur le col Crucea Spătarului) ou des églises dont on continue A servir (Nămăieşti, Cetăţuia Negru-Vodă). L’histoire des monuments historiques du pays connaît beaucoup de cellules-grottes, soit artificielles, soit naturelles (aux alentours de Turnu, pres de Tismana, Polovragi, Bistriţa,etc.) et l’une d’elles constitue le bearceau d’une des plus belle légendes de la Moldavie, c’est celle ou habita Daniel l’Hermite. Les exemples peuvent se multuplier, mais ce n’est pas nécessaire. On doit ajouter une derniere remarque. Ces églises se trouvant dans des grottes ou pres d’elles Schitul Ialomicioara, Stânişoara et encore une fois Tismana, Bistriţa, Polovragi) sont, en général, les héritieres des régions dédiées aux cultes paiens de jadis.
La meme chose s’est passée en Arménie. Le monastere Gheghard2 se trouve sur l’emplacement d’une civilisation des temps immémoriaux. C’est une église a trois étages: trois énormes églises superposées, creusées par l’homme dans un bloc immense de rocher, de haut en bas (comme a Nămăieşti). C’est dans une grotte que se retira le secrétaire royal arménien, Mezrobe Machtotz, quand il se décida a renoncer au monde pour inventer l’alphabet arménien3; suivant les enseignements d’une tradition qui devançait, comme on le voit, le christianisme, il tuait le “vieil homme” et essayait d’enfanter un “nouvel homme”.
Le philosophe roumain Lucian Blaga, en commentant l’ouvre de Frobenius et celle de Spengler, souligne le fait que tant l’ethnologue que le philosophe, quand ils classifient les types possibles de cultures, entrevoient la possibilité d’une culture de l’espace-grotte (la culture arabe)4. On pourrait dire que créer dans l’esprit de l’espace-grotte signifie mourir pour les autres tupes culturels et trouver son propre message ethnique (Equivalent dans ce cas-ci a la personnalité) seulement entre les limites de celui-la.
Mircea Eliade5 écrit: Mani annonce qu’il montera au Ciel ou il restera une année, et se retira par la suite dans une caverne (…); a la veille de son intronisation, le roi parthe se retire dans une grotte et ses sujets s’approchent et le vénerent comme un nouveau-né (p. 37). La grotte au sommet de la montagne signifie le lieu par excellence de l’épiphanie divine, la place ou, apres une période d’occultation, fait son apparition un dieu sauveur, un prophete ou un cosmocrate.
Or, la grotte répresente l’autre monde, mais également l’Universe tout entier (…) un monde-en-soi (…) une imago mundi (…) incorporant de multiples modes d’existence (p. 38).
On ne peut qu’accepter la synthese de C.G.Jung: “Disparaître, se cacher dans la foret, dans la grotte, au bord de la mer, etre enlacé par le lygos, est signe de mort et de renaissance”6, et définir: “la grotte symbolise la mort et la renaissance”. Mais, ce symbole, résultat de certaines connexions spécifiques, d’un travail unique de la pensée (celui qui peut créer les symboles et eux seulement) est, en meme temps, une structure dichotomique-antonymique, donc aussi le résultat de certaines autres connexions spécifiques, d’un autre travail unique de la pensée (celui qui peut créer les structures dichotomiques-antonymiques et elles seulement). A un moment donné de leurs élaborations spécifiques, la pensée dichotomique-antonymique et la pensée symbolique (par “pensée” om comprend ici la suite de connexions spécifiques qui part de la Weltanschauung: la réalité est un symbole, ou, respectivement, de cette autre: la réalité adeux aspects sumultanément opposés, et comme produit crée des structures stylistiques respectives discernables dans le langage, le comportement et les situations), donc les deux pensées cooperent, pour engendrer un symbole dichotomique-antonymique.
L’exemple que nous étudions est bienvenu pour mieux comprendre ce que c’est qu’une structure dichotomique-antonymique.
On a affirmé que la grotte symbolise “tant la mort que la renaissance” et non ” tantôt la mort, tantôt la renaissance” ou seulement l’une d’elles. La grotte, un seul objet, a une signification double: les deux significants sont simultanés et opposés (antonymiques). Nos recherches antérieures7dans ce nouvea domaine (la stylistique anthropologique – science qui essaie de comprendre la pensée en partant de ses manifestations stylistiques, méthode amplement élaborée a l’occasion de la découverte de la pensée dichotomique-antonymique) nous ont conduit a l’implication du temps dans la pensée, comme élément perturbateur de la raison et élément constitutif essentiel de la genese de la pensée dichotomique-antonymique qui nous permet de percevoir la réalité comme ayant deux aspects simultanément opposés. Dans ce qui suit on va retrouver le rôle important du temps dans l’apparition de ce symbole. Dans cet essai on fait une nouvelle démarche pour circonscrire l’activité de cette pensée, en étudiant diverses apparitions du symbole de la grotte dans l’histoire de la littérature comparée. Chaque nouvel exemple va nous permettre de mettre en évidence notre point de vue spécial.
La trois cent cinquante troisieme nuit, la belle condamnée qui a sauvé sa vie en racontant des histoires inoubliables pendant mille et une nuits, commença le récit de la Reine Yamlika. Un philosophe grec, nommé Danial, résuma tout ce qu’il avait pensé durant sa vie, sur une seule feuille de papier. C’était l’unique héritage qu’il laissait a son enfant. Mais celui-ci, n’était pas fait pour les études. Donc sa mere le laissa aller comme apprenti chez les bucherons. Ceux-ci se servaient de lui comme d’un bon-a-tout-faire. Les bucherons furent surpris par la tempete dans le foret. Ils se cacherent dans une grotte. L’enfant trouva une entrée secrete au fond de la caverne. Apres l’avoir ouverte, Hassib fut descendu par les autres travailleurs dedans, mais il fut abandonné dans son trou. Voila, donc, Hassib devant sa mort, dans la grotte. Il fit des recherches et découvrit une porte qui s’ouvrait sur le monde souterrain. Les aventures de Hassib furent nombreuses mais il finit par conduire son propre pays parce que sa descente dans le monde de Yamlika l’aide a devenir le docteur de son roi meme; a la fin, il s’intéresse a son héritage: en voulant bien administrer le pays, il retourne a la science. En résumant, Hassib a forcé le subconscient sans etre préparé dans de hautes écoles. Il en est revenu avec un pouvoir naturel contre les maladies. Maintenant, bien ancré dans le éel, il a besoin de la science des hommes, cai les hommes ont confiance en lui et lui demandent son savoir dans des questions ou le suconscient ne peut plus l’aider. La grotte semble signifier la mort du pauvre et sot Hassib et sa renaissance comme un bienfaiteur de son pays. Au fait, il s’agit de la mort d’un état de conscience rudimentaire et de sa renaissance, enrichie des forces de tout un monde de souvenirs subconscients déposés dans les infrastructures de la pensée par l’ontogenese et la philogenese.
On a été conduit vers cette interprétation par la structure dichotomique-antonymique analysée. Car ce que fait C.G.Jung, c’est-a-dire définir la grotte parmi d’autres symboles, ne nous paraît pas suffisant. On ressent le besoin de comprendre quel est le mécanisme psychique qui permet l’application de cette structure a deux aspects. Pour comprendre cela on nous permettra d’ouvrir une paranthese.
On se rappelle que le Présent de l’Indicatif a deux aspects: l’aspect indéfini (“la lune reflete la lumiere solaire”, une vérité valable durant un intervalle de temps indéfini) et l’aspect progressif (“je suis en train d’écrire”, “I am writing”, “tocmai scriam” – utilisation de l’Imperfait avec le sens du présent, une action valable pour le moment quand on parle). Le Présent indéfini est constitué par un enchaînement de moments progressifs. Des que ces moments pasent, ils deviennent le Temps passé. Les moments a venir constituent l’Avenir. Il y a des moments de crise de la pensée, quand, par l’intermédiaire de la mémoire, le passé se superpose sur le moment présent (ou par l’intermédiaire de l’imagination l’avenir aléatoire se superpose sur le meme moment présent). Cette superposition est perçue comme deux aspects simultanés du moment présent. Ce mécanisme (décrit ici, dans ses terms les plus simples, pour ne pas répéter ce qu’on a déja publié) se reflete dans les produits de la pensée sous la forme des structures stylistiques qu’on a nommé dichotomiques-antonymiques. Donc, c’est ce mécanisme qui permet que la grotte soit perçue comme signifiant tant la mort que la renaissance.
Don Quichotte aussi a connu l’attrait irrésistible de la grotte; en parlant de sa prochaine descente dans la caverne de Montesinos, il dit: une aventure comme celle-ci, ami Sancho, n’était gardée que pour moi8. Il pressent un contact avec des choses totalement inconnues, dut-il descendre jusqu’aux abîmes (idem.). C’est un vraie mort orphique (qui, néanmoins, envisage la ressuscitation): Je m’en vais me précipiter ici, m’en gouffrer, m’engloutir dans l’abîme qui s’offre a mes yeux (II, XXII, p. 683). Il goute déja les délices des Ténebres. Meme Sancho Panza se rend compte qu’il se passe quelque chose d’absolument nouveau: Dieu te guide encore une fois et te ramene libre, sain et sans artifice, a la lumiere de cette vie que tu laisses pour t’enterrer en l’obscurité que tu cherches (p. 682) paraît la description du subconscient caché par la végétation sauvage et parasite du contingent. Mais son écuyer, qui se plaît tant a bien boire, manger et bavarder, ne peut comprendre la nécessité de connaître ce qui se trouve en deça: Il ne vous importe ni ne vous touche nullement d’etre l’enqueteur de ce trou qui doit etre pire qu’une basse-fosse (id.). Voila l’opinion générale des hommes devant l’autoanalyse, devant l’essai de contacter les sources de son etre. Tandis que Don Quichotte regardait cet exercise, si bine suggéré par une miniature indienne peinte a Rajasthan (Indes) au XVIIIe siecle présentant le corps subtil, sous l’aspect d’une plante issue du sol de l’Au-dela9, comme un moyen irremplaçable de Connaissance. Il entre dans ce nouveau monde conduit par Montesinos, comme Dante l’a été par Virgile. C’était un vénérable vieillard (…) et sa barbe toute blanche lui tombait plus bas que la ceinture. Pour toutes armes il n’avait qu’un rosaire a lamain (…). Son extérieur, sa démarche, sa gravité, son air majestueux, chaque chose par elle-meme et tout ensemble me rendant tout étonné et tout ébahi (II, XXIII, p. 686) reconnaît-il. Ce vieil homme qui semble le portrait vivant de tant de vieillards initiés peints par William Blake ne peut etre que la personnification du subconscient meme. Il se trouve dans la grotte qui porte son nom depuis le temps de Charlemagne. Lui et ses comperes sontenchantés en ces solitudes (idem) n’ayant pas le droit, ni l’énergie d’en sortir. Il s’adresse a l’hidalgo: nous attendons l’heure de te voir, afin que tu donnes conaissance au monde de ce qu’enferme et couvre la profonde caverne par ou tu es entré (p. 687). On doit savoir que le nom de Montesinos pourrait etre décomposé en monte signifiant montagne, foret (parmi d’autres sens) et sino (une forme de signo), ayant des Sens comme: signe, destin, etc. Et si on l’associait au verbe latin: sino, sinere, sivi, situm (permettre)? La montagne, la foret s’associe a l’Infranchissable, et cetInfranchissable détient le Destin: mais tout de meme la permission de franchir s’y trouve semée. Le titre du XXIIe chapitre est tres important: Ou l’on conte la grande aventure de la caverne de Montesinos, qui est au cour de la Manche, a laquelle le valeureux Don Quichotte donne heureuse fin (p. 677). Elle se trouve donc au cour de la Manche. Mais c’est “le cour” meme du récit et c’est sa clé! (Voir les conclusions de cet essai).
C’est la premiere aventure du chevalier apres laquelle il a grand’faim (II, XXII, p. 685). C’est un carrefour dans son histoire psycho-physique. Sa faim est un événement extraordinaire: c’est la renaissance. Car, a sa sortie, ses amis virent qu’il avait les yeux clos et semblait endormi (p.684). La nouvelle sagesse acquise c’est la perspective dichotomique-antonymique sur la réalité, “ce monde est un reve”, sagesse commune a la Renaissance et a l’Orient: Je viens d’apprendre en effetque tous les contentements de ce monde passent comme une ombre et comme un songe, ou se flétrissent comme la fleur des champs (ib.). Ce sont ses premiers mots. Les propos de Don Quichotte, qu’il proférait comme s’il les eut arrachés de ses entrailles avec une douleur extreme (p. 695), sont les mots de Lazare. N’oublions pas que, pour ceux restés en haut, le héros a été aux enfers.
Ce qu’il a vu la-dedans, beaucoup d’autres dames des siecles passés et du présent, enchantées, sous différentes et étranges figures (II< XXIII, p. 693) (au lieu de “dames” lisez “souvenirs”, car tout ce qui s’y trouvait c’était des souvenirs de ses lectures) n’a d’importance que d’un seul point de vue. C’est pour la premiere et la derniere fois qu’il “voit” au lieu de remémorer et de comparé a la réalité10. Donc, c’est la premiere et la derniere fois qu’il force l’entrée du subconscient, tandis que d’habitude le subconscient se forge un chemin vers le conscient qu’il contamine. Cet effet est caractérisé par Panza, l’homme de la rue, comme suit: Sancho acheva de connaître indubitablement que son maître était hors de sens et tout a fait fou(ib.). Mais on peut analyser ce qu’y s’est passé d’une autre maniere qu’en déchiffrant le contenu. C’est une typique interpration subjective de la perception du temps et aussi une structure dichotomique-antonymique. L’écuyer et le cousin, avant de tirer Don Quichotte du trou, attendirent (…) une demi-heure (II< XXII< p. 684). C’est un aspect de la structure mentionée. Tandis que le chevalier explique: la nuit m’y a surpris par trois fois, et par trois fois j’y ai vu le retour du soleil, de sorte qu’a mon compte j’ai demeuré trois jours en ces contrées éloignées et cachées a notre vue (II, XXIII, p.692). Et meme ces trois jours ne ressemblent pas aux jours ordinaires; on dirait les jours de la “Genese”. Une nouvelle opinion est mentionnée par ses amis, qui dichotomisent leur propre propos. Sancho dit que Don Quichotte est resté dans la grotte un peu plus d’une heure (id.).
Cette maniere de percevoir le temps se transpose sur la maniere d’accepter l’histoire du chevalier. La premiere réaction de Panza est: Dieu, m’emporte (…), si je crois rien de tout ce que vous nous avex raconté (id.). Mais bientôt il se récrie: Je ne crois pas que mon maître mente (…). Je crois (…) que ce Merlin ou ces enchanteurs (…) lui ont enchassé dans l’imagination ou dans la mémoire toute la machine que vous nous avez ici contée (p. 693). Et… pour la premiere fois de sa vie, Don Quichotte concede a propos des idées de l’écuyer: Tout cela pourrait etre, Sancho (…); mais cela n’est pas (id.). Et, plus tard, a nouveau, quand celui-ci l’importune: je voudrais bien que vous dissiez a maître Pierre qu’il demandât a son singe si ce qui arriva a Votre Grâce dans la caverne de Montesinos est véritable; car, pour vous en dire ce que j’en crois, sauf excuse de Votre Grâce, je le tiens a mensonge, ou au mojns je crois que ce ne sont que choses de reve. – Tout pourrait etre, dit don Quichotte; mais je ferai ce que tu me conseilles, car je reconnais qu’il me reste un certain scrupule (II, XXV, p.711). Il insiste de plus en plus. Donc, il voulut savoir si certaines choses qui s’était passées en la caverne de Montesinos, étaient songes ou vérités, parce qu’il lui semblait qu’elles tenaient de l’un et de l’autre (id.). On le remarque: il ne dit pas qu’il a une autre opinion que l’écuyer, mais qu’a lui-meme ils lui semblent dichotomiques-antonymiques. La reponse qui vient de maître Pierre est construite de la meme maniere bifurquée: une partie des choses que vous avez vues, et qui se sont passées dans cette caverne, sont fausses, et une partie vraisemblables (id.).
Cette discussion sur le temps a de l’importance seulement parce qu’elle éclaircit le mécanisme de la pensée dichotomique-antonymique. Mais a la question: combien a duré la descente dans la grotte? Il y a une autre réponse aussi. Elle a duré tant que dure l’état de réveil, le passage de l’inconscient au conscient, la traversée volontaire du subconscient: j’ai reconnu que je ne dormais point, mais plutôt que j’étais véritablement éveillé (II, XXIII, p. 686).
Si la grotte de Platon signifie la connaissance de la réalité, la grotte de Montesinos signifie la connaissance du subconscient. Le temps découvre toutes choses, et il n’en est aucune qu’il ne montre a la lumiere du jour, fut-elle cachée aux entrailles de la Terre; mais, pour l’heure, assez la-dessus, et allons voir le théâtre du bon maître Pierre (II, XXV, p. 711). En d’autres mots, meme si on ne comprend pas le subconscient maintenant, le temps va le révéler a l’oil aux aguets: jusqu’alors il faut vivre sa vie sur la scene de la conscience.
William Shakespeare s’est aussi attardé devant unde grotte, et cela dans sa féérie La Tempete11. La premiere scene devant la grotte (la seconde du premier acte) introduit la premiere dichotomie-antonymique. Prospero tranquillise sa fille pleurant sur les désastres de ceux qui furent noyés:Rassurez-vous. Plus de frayeur. Dites a votre cour pitoyable, qu\il n’est point arriné de malheur (p. 138) et c’est la vérité; mais, nous, dans la scene précédente, nous avons été témoins du naufrage. Miranda énonce le premier aspect d’un autre dichotomie-antonymique essentielle: Un brave vaisseau qui renferme, sans doute, quelques nobles créatures (idem.). Ces nobles créatures vont etre démasquées comme les hommes de cour d’un sinistre usurpateur. Et voila, deux répliques plus tard, la dichotomie-antonymique – clé de l’ouvrage. C’est toujours Prospero qui l’énonce: Tu ignores ce que tu es, tu ne sais pas ce que je suis, tu ne te rends pas compte que je suis plus que Prospero, le maître de cette pauvre grotte, plus que ton pere(id.). Ce plus situe Prospero em meme temps a l’autre bout du monde: duc de Milan.
La pensée dichotomique-antonymique symbolisée ici par la grotte, devant laquelle on échange ces pensées, nous révele notre ignorance du complexe réel: Miranda: Je n’ai jamais cherché a en savoir davantage (id.) Mais, il est temps que tu connaisses ton pere (id.), lui prophétise Prospero, en comprenant qu’il est temps de découvrir l’entiere réalité. On dirait entendre Platon: Peux-tu te rappeler l’époque ou nous n’habitions pas encore cette grotte? Je ne le crois pas (p. 139) ou: Que vois-tu encore dans l’obscurité lointaine et dans l’abîme du temps? (id.) Et, petit a petit, Miranda apprend la vérité. Elle s’eclame en langage dichotomique-antonymique (c’est tout a fait normal: elle ne peut pas le faire autrement puisque la réalité lui est révélée comme telle): Quelle épouvantable trahison nous a chassés de la-bas? Ou quelle bénédiction? (id.). Et la réponse la plonge définitivement dans le monde dichotomique-antonymique: Les deux, ma fille. C’est une épouvantable trahison comme tu dis, qui nous a chassés de la-bas, et aussi une bénédiction qui nous a conduits ici (id.). Il répete la phrase pour bien marquer l’impossible situation.
L’histoire qui débute est une chaîne de dichotomies-antonymiques déroulée tranquillement, avec la sagesse de celui qui ne se laisse pas entraîner par les aspects illusoires de la vie. Prospero ne hait pas son frere. Mais il ne peut s’empâcher de constater avec amertume son comportement dichotomique-antonymique: Est-il possible qu’un frere soit a ce point méchant? (p.140) (on suppose vraie l’égalité: frere = bon). En remémorant les vicissitudes de sa vie il ne participe pas passionnellement, mais en homme de science, en psychologue; il peut tout expliquer, de cause a effet. Il va jusqu’a souligner que lui-meme fut la cause de la dichotomisation-antonymique comportementale de son frere. Celui-ci influença de meme façon les sujets du duc (il les pétrit a sa façon, id.). Le comportement dichotomique-antonymique devint épidémique sous son action; il mit tous les couers au diapason qui flattait son oreille (id.). Le nom du nouvel aspect révélé dans celui-ci est: la perfidie (proportionnée a ma bonne foi, id.). Shakespeare, ce maître psychologue, explique les processus mentaux connus par son frere, lequel – comme un homme qui, a force de répéter une chose, commet péché de mémoire d’imaginer qu’elle est vraie – il s’imagine etre le vrai duc, oublia la substitution, et, empruntant le visage de la royauté, s’en attribua toutes les prérogatives (id.) (n’est-ce pas une définiton tres complete, et saturée de psychologie, de l’autosuggestion, et quand cela?! Surtout on ne doit pas dire que le grand Will n’était pas conscient de ce qu’il définissait. Une demi-page plus loin Miranda dit: Par suggestion, je sens les larmes envahir mes yeux (p. 141). La situation dichotomique-antonymique qui couronne le récit est celle de l’exil: ils préférerent peindre leur trahison de couleurs plus belles (id.) (on a fait monter les deux dans un bateau, mais dans l’un qui ne pouvait pas résister au voyage, donc: on vous laisse la liberté de voyager et on ne vous donne pas cette liberté). La suggestion réapparaît sous forme de transfert d’énergie: Tu sortirais car le ciel te rendait forte (…) Ce sourire fit naître en moi une résolution opiniâtre, qui m;aida a supporter ce qui devait s’en suivre (p. 142). Soudain le dramaturge nous conduit au sommeil hypnotique de Miranda: Maintenant ne me questionne plus. Tu as envie de dormir; c’est un bon repos, contre lequel il ne faut pas lutter… Je vois que tu ne sauras t’en défendre (p. 143). Et la princesse s’endort. Une nouvelle dichotomie-antonymique: elle dort mais elle ne dort pas de son propre sommeil.
Et voila la grande surprise: le naufrage n’en était pas un, Ariel nous décrit comment il l’a provoqué, dichotomie-antonymique situationelle de premier rang. Apres s’etre métamorphosé en feux follets il reçoit l’ordre de devenir une nymphe de la mer. Les mots précis nous donnent l’idée du déguisement: revets cette forme (p. 147).
La suggestion, l’une des armes du grand mage de Bermudes, contreattaque Caliban, le blasphémateur: Pour ici, sois-en sur, cette nuit tu auras des crampes, des points de côté qui te couperont le souffle (p. 148).
Une nouvelle série dichotomies-antonymiques intervient. Ferdinand a vu son pere se noyer et celui-ci vit toujours. Ou le suivant jeu de mots qui n’en est pas moins une dichotomie-antonymique : Ferdinand: Le duc de Milan et son brave fils ont également disparu. Prospero: Le duc de Milan et sa son moins brave fille pourraient te contredire (p. 151). Quoique Prospero sache la vérité, c’est-a-dire que ce qu’affirme Ferdinand soit pour lui la réalité, il l’accuse d’etre un imposteur, d’emprunter donc un masque.
On va quitter pour le moment l’entrée de la grotte qui symbolise tous ces étranges dédoublement de la réalité. Le second acte commence. L’influence de la grotte ne se fait plus sentir. Si l’on trouve, tres rarement, une dichotomie-antonymique c’est la faute de l’auteur qui ne peut pas laisser s’envoler l’occasion sans en profiter. Puisqu’on parle du mariage d’une fille, ceci lui rappelle la situation dichotomique-antonymique dans laquelle se trouvait Cordelia au début du Roi Lear : Elle-meme, la belle âme, mettant dans la balance, son aversion et son obéissance, ne savait quel plateau choisir12. Parfois c’est pour le plaisir du jeu; Stephano parle de Caliban: Sa voix de devant lui sert a bien parler de son ami; sa voix de derriere a murmurer de méchantes paroles et a calomnier13 (p. 163).
Le troisieme acte nous ramene devant la grotte. C’est ici que fleurit l’amour entre Ferdinand et Miranda, cet amour qui transforme les travaux du premier en plaisir (p. 173). Sous son influence, le jeune homme dichotomise-antonymiquement: C’est pour moi un frais matin, la nuit ou je suis pres de vous (p. 174). Elle aussi, tout en se rendant compte de son état d’esprit paradoxal: Je suis folle, je pleure de plaisir. Et encore: Je pleure mon indignité qui n’ose pas vous offrir ce que je voudrais donner, et encore moins prendre ce dont je mourrais d’etre privée! Mais c’est de son étude! (p. 175). Une nouvelle personnalité naît: celle de l’amant. Elle déchire l’image que les personnages avaient d’eux-memes tout en ne créant pas le contour définitif du nouvea profil. Mais le charme a été de courte durée: une scene. Des qu’on a quitté la grotte il s’est interrompu.
Le nouvel acte, le quatrieme, nous introduit de nouveau dans l’espace magique. Prospero, le maître en illusions, offre un spectacle aa jeune couple: un masque. Nous n’avons pas encore insisté aur l’art magique de Prospero qui transforme la piece dans une continuelle dichotomie-antonymique. Les esprits participent a la réalité mais en y manquent en égale mesure. Ils peuvent prendre n’importe quelle forme et celle-ci reste d’une inconsistance frôlant imaginaire. Le terme de “masque” qui s’applique a cette occasion a une forme de spectacle reste en meme temps un terme spécifique, un comportement dichotomique-antonymique. L’importance de cet argument dichotomique-antonymique est majeur car Prospero, devenu le raisonneur de la féérie, explique: Nous sommes faits de la meme étoffe que les songes et notre courte vie n’est qu’un reve… (p. 191).
Le cinquieme acte résout le secret de la piece. Le mage dit: Cette grotte est ma Cour (p. 202). Gonzalo va déchiffrer son message: nous-memes, nous nous retrouvons tous, quand chacun de nous était désemparé! (p. 203).
“Désemparé” jusqu’au rafraîchissement des forces du au plongeon dans le subconscient. On laisse au lecteur le plaisir de découvrir comment, sous l’influence symbolique de la grotte, chacun des personnages (sauf ceux des marins et des nobles) gagne une nouvelle personnalité opposée a la précédente et cette nouvelle personnalité n;est autre que l’ancienne qui fut masquée et cachée pour un temps.
Qu’est-ce que la bouche de Pantagruel sinon le revers d’une grotte? Je cheminay bien deux lieues sur sa langue, tant que entray dedans sa bouche (…) Je y cheminoys comme l’on faict en Sophie a Constantinoble, et y veiz de grands rochiers, comme les mons des Dannoys, je crois que s’estoient ses dents, et de grand prez, de grandes foretz, de fortes et grosses villes, etc.14. Mais, c’est la grotte-Univers, la grotte dans laquelle existe un monde parallele au notre, duquel nous ne sommes pas conscients (théorie a la mode aujourd’hui, dans une autre formule, quasi scientifique, voir, par exemple, les écrits de Däniken): La commençay penser qu’il est bien vray ce que l’on dit que la moytié du monde ne sçait comment l’autre vit (p. 161) (ne parlons pas de l’astuce qui leve le rideau sur la scene sociale du temps). Quoique Rabelais n’insiste pas sur l’idée de la grotte comme lieu de la révélation, comme, d’aiileurs, il n’insiste jamais sur aucune des idées lancées par lui, bien que toujours neuves et meme choquantes pour son époque, la bouche de Pantagruel joua le rôle de la grotte des Mille et une nuits, déja commentée. J’insiste: c’est la porte d’un monde coexistant au nôtre.
La bouche de Pantagruel n’est pas le seule élément dichotomique-antonymique du roman de Rabelais. Tout le roman, puisque une parodie, n’est que l’autre aspect du roman de prouesses chevaleresques. D’ailleurs on sait trop bien qu’il trouve son origine dans le roman populaire: Grandes et inestimables Chroniques du grant et énorme géant Gargantua (Contenant sa généalogie, la grandeur et force de son corps. Aussi les merveilleux faicts darmes qu’il fist pour le Roy Artus, come verrez cy apres. Imprimé nouvellement. 1532).
William Blake, le pré-romantique anglais, a, lui aussi, utilisé le symbole de la grotte. Pour lui, la Grotte c’est le corps, illuminé par les cinq fenetres des sens “Si les portes de la perception étaient nettoyées, toutes les choses apparaitraient a l’homme comme elles sont, c’est-a-dire, infinies. Car l’homme s’est emprisonné jusqu’a voir n’importe quoi a travers les fentes étroites de sa caverne”15. Voyons ses vers memes: Vous Mere de ma partie Mortelle / Cruellement Vous avez moulé mon Cour / Et avec des larmes fausses et traîtresses / Vous avez bouché mes Narines , mes Yeux et mes Oreilles, / Vous avez trempé ma Langue dans la boue insensible, / Et Vous m’avez trompé, en faveur de la Vie Mortelle16.
Intéressé a Porphyre et surtout a son ouvre: De antro nympharum, qu’il a illustré en 1821, quelques années avant sa mort, travail qu’on peut considérer comme son Faust, il a adopté la vision du philosophe antique sur l’interpénétration des mondes ou des modes de conscience. On peut comparer ces âmes s’incarnant (qui) descendent d’un monde radiant et sont ourdis dans des corps humains sur les tambours a broder des nymphes17 a la grotte qui enfante, d’un Lienzo mexicain18. L’image est divisée en deux zones: a gauche, une grotte-matrice, ayant l’aspect d’un canon, d’une forme pouvant se mouler pour laisser sortir un grup de sept jeunes gens, aveuglés par la lumiere innatendue de dehors, contrastée au noir du monde duquel ils se glissent. Leurs visages sont hallucinés, leurs tetes penchées, leurs colonnes vertébrales courbées, leurs pieds et bras droits suggérant la marche, accompagne d’un geste qu’on dirait d’etre accablés par leur science. Celui qui s’avance le premier devient le pont vers la seconde zone, par l’int s’avance le premier devient le pont vers la seconde zone, par l’intmédiaire de sa main qui salue l’existence. La-bas se trouvent cinq enfants (maintenant c’est tres clair: ce sont cinq petits enfants), ils apprennent l’alphabet des objets-jouets; c’est bien possible que les objets soient des symboles que nous ne connaissons pas: un encensoir, un oiseau, un vase, deux trompettes, un chien, et quelque chose comme une balle sur un bâton. Il y a un grand contraste emtre les deux bandes: on dirait que le premiers connaissent le gout amer de pénétrer dans l’éphémere des vanités, tandis que les autres semblent etre les patients d’un asile d’aliénés, pauvres brutes réduits a une enfance incompatible avec la conditiona humaine.
William Blake a continué a etre obsédé par la grotte. Dans le cycle de Job, une autre de ses ouvres de maturité, la grotte (Job 2 et 14) rappelle celle des nymphes discutée.
Japhet19, le personnage du romantique Byron, préfere assoupir les affres de son amour dans la grotte: Je vais a la caverne, / L’entrée de laquelle s’ouvre, l’on dit, du monde intérieur / Pour laisser monter les esprits des profondeurs de la terre / Quand ils se dirigent vers sa surface. Irad: Pourquoi? / Qu’allez-vous faire la-bas? Japhet: Calmer ma triste âme / Avec les ténebres tout aussi mélancoliques: c’est une place désespérée / Et je suis désespéré aussi (Part I, Scene II, p. 538). Mais, comme s’il avait le pressentiment de ce qui allait se passer, il refuse de se laisser accompagner par Irad qui était horrifié a la pensée de ses possibles contacts avec les esprits inférieurs: Je dois aller seul (id. p. 539), insista Japhet. Il voulait contempler le déluge a venir; tout de meme quand les esprits ricanerent devant la perspective de l’aneantissement de l’homme, Japhet, comme s’inspirant du symbole de la grotte, s’avança et leur répondit: La semence de la terre ne va pas expirer; / C’est seulement le mal qui sera expulsé / Du lour. (…) / Retournez a vos grottes des profondeurs! / Juaqu’a ce que les vagues / Vont venir vous chercher dans vos sites secrets, / Et conduire votre race morose / Pour etre roulée par les vents agités, / Dans une malheureuse culbute sans répit parmi tout l’espace ! (I, III, p. 540-541). Car le déluge prophétisé dans la grotte de l’Ararat signifie bien la mort de l’homme mauvais mais aussi la naissance du nouvel homme; le symbole bipolaire de la grotte est développé au niveau de l’humanité. De plus, l’ancien Japhet disparaît pour faire place au nouveau. Toujours dans la caverne; il va recontrer sa bien-aimée, Anah, dans la compagnie de son amoureux, compagnie angélique et abominable en meme temps. Anah et sa sour Aholibamah aiment et sont aimées par deux “fils de Dieu”, les célestes Samiasa et Azaziel, qui vont finalement les enlever. La nouvelle personnalité découverte a Japhet dans la grotte est celle de “tomoin”, tandis qu’avant il était “acteur”. En contemplant la phantastique noyade universelle, il s’exclame: Mourir! mourir dans la jeunesse! / Et etre plus heureux par ce sort / Qu’en regardant la tombe universelle, / Sur laquelle / Je suis condamné de pleurer en vain. / Pourquoi, quand tout périt, pourquoi dois-je persister? (I, III, p. 549).
Un rapprochement curieux peut etre fait entre la grotte du subconscient, comme dépôt de la personnalité et la chambre de la reine dans la termitiere, dans la vision de Denis Stuart20. Dans son essai, l’ami de Paul Valéry suppose que la reine conduit ses subordonnés par la télépathie. Les esclaves n’ont pas une personnalité propre; ils vivent comme les cellules de notre corps. La reine est l’unique cerveau de la population. Elle se trouve dans une cavité d’ou elle dirige l’activité de tout l’organisme. L’auteur français conte le reve d’une fille de quatorze ans21, reverépété fréquemment entre huit et dix ans, et qui peut constituer une preuve de mémoire ancestrale rendue brusquement consciente: elle devait s’avancer dans un tunnel de plus en plus étroit. Elle sentait le besoin de continuer ses efforts. Une peur horrible la retenait mais elle savait qu’une fois entrée elle ne pouvait plus reculer. Les poches et les mains pleines de nourriture, elle rencontrait, enfin, le terrible visage sans forme, avec les regards glacés, immobiles. Elle lui donnait a manger puis s’en éloignait en courant, pour repondre, la nuit suivante le meme trajet vers les ténebres intérieures. C’est une Mere Terrible, au contraire des Meres de Faust, car le nage des brouillards trouve au pays de celles-ci la source de l’énergie qui le fera, en fin de compte, se dédier au bien-etre de l’humanité.
Une formule classique du message du théâtre de l’absurde paraît dans un admirable roman du “patriarche” des modernes, E.M.Forster (cela ne doit pas nous surprendre: notre siecle est tout au moins hanté par la capacité de la grotte de révéler la vérité sur la peronnalité de l’homme, surtout sous son aspect labyrinthique). L’écho des grottes de Malabar est le personnage principal du roman Voyage aux Indes. Celui-ci est comparé a beaucoup d’autres échos de l’Inde, les uns élégants, d’autres parfaits, tous raffinés. Mais, a Malabar, l’écho rendait tout phénomene sonore de la meme maniere: par un bruit monotone. Qu’on criât du fond de son cour un sublime acquiescement de l’existence, ou qu’on chuchotât une betise, l’écho les égalisait dans l’indifférence. Que ce fut les langues des anges ou de crasses obscénités, pour l’écho des grottes de Malabar c’était la meme chose. Il ne savait que piller les sons de leur contenu, les détacher de l’éternité de laquelle ils doivent etre le support matériel et contingent, comme s’il prononçait: tout cela m’est égal. Pour la vieille et énergique madame Moore, qui comprend ça, c’est le début de la fin. La grotte lui a appris que rien ne mérite qu’elle s’attarde parmi ces “bruits”. Bientôt, elle se laisser mourir, car sa “grotte intérieure” ne pouvait plus offrir qu’une découverte confuse de soi-meme; elle avait payé sa dette envers le Monde, sa personnalité ne pouvait plus lui servir22.
En conclusion, la grotte, du point de vue de la pensée symbolique, a deux sens: la mort et la renaissance. Ayant deux sens opposés, ce symbole est engendrépar la pensée dichotomique-antonymique en collaboration avec la pensée symbolique. C’est un symbole universel que ni peuples, ni philosophes (on n’a plus insisté sur la grotte de Platon puisqu’elle est si bien connue et commentée), ni, surtout, écrivains n’ont pu éviter. Nous avons essayé d’illustrer avec des exemples tirés chronologiquement de l’histoire de la littérature comparée comment ce symbole dichotomique-antonymique exprime la disparition de ce qu’on croyait etre sa personnalité et la révélation de ce qu’elle est en fait. Cette révélation est due au contact avec ce qu’on a appelé métaphoriquement “la grotte intérieure”23, c’est-a-dire ce qui dans le subconscient est entendu comme source d’énergie vitale (qu’elle revete la forme de la mémoire ou d’autres formes possibles). Du point de vue stylistique-anthropologique, notre étude sert a démontrer comment les recherches sur le comportement stylistique de l’homme (dans ce cas un comportement symbolique dichotomique-antonymique) peuvent élucider quels sont le mécanisme de la pensée et le processus vital qui permettent la création d’un tel symbole, d’une part, et d’autre part expliquer le rôle constructif que joue ce symbole dans le développement de la personnalité. Pour le psychiatre l’intéret du patient pour la grotte ou sa peur d’elle peuvent constituer des indices de l’attitude psychique de celui-ci envers ses propres possibilités d’évolution imposées par les lois intérieures inéluctables. En analysant ce que symbolise la grotte pour le patient on peut connaître quel est le rôle de la pensée dichotomique-antonymique dans sa réception de la réalité (et l’on a insisté sur le rôle de celle-ci dans les troubles mentaux, dans nos autres articles).
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1 Nous avons amplement présenté la religion des Arméniens paiens dans: Prolegomene la o cercetare a religiei vechilor armeni (Prolégomenes a une recherche sur la religion des anciens Arméniens), dans “Glasul bisericii”,
1974, nr. 11-12, p. 1066.
2 Voir notre article: Note de călătorie; Pâine, piatră, apă (Notes de voyage: Pain, pierre, eau), dans “Nor Ghiang” (en arménien), 10 nov.1972, et aussi notre conférence: Tradiţie şi inovaţie în arhitectura armeană (Tradition et innovation dans l’architecture arménienne), la troisieme conférence du cycle de sept: Civilisations et cultures. La culture arménienne, janvier-avril 1974.
3 Voir nos articles: Aspectul naţional în evoluţia bisericii armene (L’aspect national dans l’évolutiona de l’église arménienne), dans “Biserica Ortodoxă română”, 1974, nr. 3-4, p. 447; Date cronologice asupra literaturii religioase aremene de la început şi până în 1666 (Données chronologiques sur la littérature religieuse arménienne, du début jusqu’en 1666), dans “Ortodoxia”, 1975, nr.1, p. 201, et aussi notre conférence La culture et la littérature arméniennes anciennes (voir la note no 2).
4 Lucian Blaga, Trilogia culturii – Orizont şi stil, Spaţiul mioritic, Geneza metaforei şi sensul culturii (La trilogie de la culture, – Horizon et style, L’espace mioritique, La Genese de la métaphore et le sens de la culture), Bucureşti, Editura pentru Literatură Universală, 1969, p. 33-42.
5 Mircea Eliade (…), De Zalmoxis a Gengis-Khan, Études comparatives sur les religions et le folklore de la Dacie et de l’Europe Orientale, Paris, Payot, 1970.
6 C.G.Jung, Métamotphose de l’âme et ses symboles, préface et traduction de Yves Le Lay, Geneve, Librairie de l’Université Georg et Cie S.A., 1967, p 405.
7 Elles sont été dirigées par l’Académicien professeur dr. Zor Dumitrescu-Buşulenga (maître de travaux) et dr. N. Balotă pendant le stage du doctorat. Nous avons déja publié quelques-uns de nos résultats, et nous prions le lecteur de bien vouloir compléter le résumé incomplet que nous faisons ici de notre théorie en parcourant les études suivantes: Tragedia cunoaşterii: Othello (Une tragédie de la connaissance: Othello), dans Limbile moderne în şcoală, 1er vol. 1973, p.67; Gândirea dihotomică-antonimică în literatura elisabetană (La pensée dichotomique-antonymique dans la littérature élisabéthaine), dans Limbile moderne în şcoală, 1975, p. 111; Stilistica antropologică. O aplicaţie: Gândirea dihotomică-antonimică (La stylistique anthropologique. Une application: La pensée dichotomique-antonymique) dans “revista de istorie şi teorie literară”, 1975, nr.4, p.468.
8 On cite d’apres: Miguel Cervantes Saavedra, L’Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, Nouvelles exemplaires; traduction de César Oudin ET fRANçOIS Rosset (pour la premiere partie du volume), Bibliotheque de la Pléiade, N.R.F., Librairie Gallimard, 1956, Partie II, Chapitre XXII, p. 682.
9 Philip Rawson, Tantra – le culte indien de l’extase, traduit de l’anglais par Jean BrSeuil, 1973, planche 21.
10 On a déja étudié les portes d’entrée dans la crise dichotomique-antonymique signalées dans ce roman, dans notre dernier article cité a la note no.7.
11 William Shakespeare, Ouvres dramatiques de…, traduction (…) par Georges Duval, tome sixieme, Paris, Ernest Flammarion Éditeur (1912).
12 Georges Duval commente dans la note no.1, p. 159: Nous retrouverons la meme métaphore dans Peines d’amour perdues comme nous l’avons trouvée dans Hamlet.
13 Le traducteur français nous fait un nouveau service en énonçant d’autres structures dichotomiques-antonymiques de l’époque: Jadis la Rénommée avait deux voix. Dans la Toile de Pénélope de Greene (1601): “La Renomée a deux visages: pretes aussi bien a mordre qu’a flatter” (p. 169, note no.2).
14 François Rabelais, Pantagruel, texte établi et présenté par Pierre Grimal, Paris-Librairie Armand Colin, 1959, p. 159.
15 Kathleen Raine, William Blake, London, Thames and Hudson, 1974, p. 113.
16 Kathleen Raine, op. cit., p. 114.
18 T.W.Danzel, Symbole, Dämonen und Heilige Turme, Hambourg, 1930, pl.87.
19 Lord Byron, The poetical Works of…, London, New York, Toronto and Melbourne, Henry Frowde, Oxford Univerity Press, 1911, Heaven and Earth – A Mistery, N;ayant pas de traduction française a notre disposition, on a du traduire nous-meme en prose, a notre regret.
20 Denis Stuart, La religion des géants et la civilisation des insectes, Paris, Éditions Denoël, 1955.
22 On peut lire tout le pasage dédié au grottes, Dans E.M.Forster, Clipa cea veşnică. Povestiri, traduit par Mijail C. Delescu, préface et tableau chronologique par Mihai Rădulescu, Biblioteca pentru toţi, Bucureşti, Editura Minerva, 1972; il est traduit pp. VI-VII.
23 N’est-ce pas cette descente dans la grotte intérieure, qu’on trouve dans la concentration yogique réalisée a l’intérieur d’une chakra ou dans l’isichasme (la concentration sur le cour) bien sur, a une autre niveau? Et puis, le cour était autrefois considéré (et continue d’etre dans les traditions populaires) comme le siege des sentiments, de la pensée, de la connaissance, de la volonté, et, pour rire, chez certains peuples, de la digestion.
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