BEAUMARCHAIS A SAINT-LAZARE...

L’HORLOGER DE LA RÉVOLUTION ou BEAUMARCHAIS À SAINT-LAZARE Comédie en trois actes (13 tableaux) La version française appartient à MELANIA MUNTEANU et à l’auteur PERSONNAGES (dans l’ordre de l’entrée en scène) LE GE Ô LIER EN CHEF, ayant dépassé la cinquantaine; un colosse ventru; rustaud, une veritable brute, un bourreau rusé, dégoutant; il pense que son poste lui confère du crédit logique, moral et culturel absolu. LESAIN, prisonnier libéré; chétif, dominé par la stature immense du Geôlier en Chef, une souris auprès de celui-ci. Il sait qu’il ne sait jamais à quoi s’attendre et, par conséquence, ce qu’il faut répondre aux questions du Geôlier en Chef. BEAUMARCHAIS à l’âge de 53 ans. JACQUES COQUAIRE-FILS, moins de 30 ans, le fils du célèbre nouvelliste à la main Jacques Coquaire. Un petit peu infatué. MAÎTRE ANDRÉ CARON, le père de Beaumarchais; environ de 60 ans;un père aimant, mais son amour paternel est exaspéré par la conduite de son fils et par le désintérêt dont celui-ci envisage le métier d’horloger que le père veut lui faire embrasser. Nerveux, faible, il prends des airs, toujours prêt à exploser afin de maintenir son autorité. Mme CARON, épouse du Maître Andr é Caron; environ la cinquantaine; émancipée; elle mènage l’orgueil de son mari, afin de lui démontrer l’inconsistance de ce trait; elle aime son fils, croit à son avenir, le comprend et le défend. LEPAUTE, célèbre horloger de l’époque, tréa infatué, prêt à toute bassesse pour conserver sa position dans la corporation. PÂRIS-DUVERNEY, 70 ans, banquier renommé, sympathique, nulle trace de morgue. LA MARQUISE DE LA CROIX, moins de 30 ans, Française d’origine, habitel’Espagne; outre l’amour et l’argent, rien ne l’interesse. LA DAME AGÉE, environ 80 ans, coquette joue la jeune femme. PAULINE, environ 17 ans, la petite-fille de La Dame Agée; puérile, prenant l’amour à...

– Acte premier

Tableau 1 (Dans le noir, on entend une paire de claques énergiques.) La voix du GEÔLIER EN CHEF: C’est un cadeau d’adieu. Et voila de plus un bouquet de ne- m’oubliez-pas! (Mitraille de gifles. Cône de lumiere: Le Geôlier en Chef et Le Sain. Parmi les arguments du Geôlier en Chef l’on compte celui de pousser du ventre sa victime jusqu’a la faire tomber a terre. Le Sain est sur le point de quitter la prison.) LE GEÔLIER EN CHEF: Ne t’imagine pas que si nous lachons prise c’est que t’es devenu un comme il faut. Qui culbute une fois culbute la seconde aussi, et de la meme façon. Ne t’enlise pas dans des reves, benet. A bientôt, a cette meme porte. Ç’est plus intime. Te voila libéré parce qu’il me faut une paillasse. On nous envoie un client célebre qui a risqué de facher le Roi: sieur de Beau-mar-chais! Par la bonne volonté de Sa Majesté, on lui recommande de faire maigre d’urgence! (Confidentiellement.) On dit qu’il a le sang tout bouillonant et Sa Majesté l’envoie faire une cure a Saint-Lazare, par crainte pour sa bonne petite santé. C’est moi votre médecin traitant, pas vrai? “Docteur Brisoisos!” N’est-ce pas comme ça que vous m’appelez? (Le Sain, pressentant le danger qui s’approche, voudrait s’ é loigner. Le geôlier en Chef le retient.) Bouges pas! T’as pas de juste libre passage! (L’empoigne.) C’est comme ça que vous m’appelez, oui? (Craintif, l’autre confirme.) Eh bien, tu vois! Mérite est bien payé, est-ce clair? Vous ne pigez pas logique; autrement vous ne serez pas la. “Docteur Brisoisos”! Me voila! Pour une fois, vous ne mentez pas. C’est rare pour vous, bande de noceurs et de coureurs, que de dire la vérité! Vous avez menti pendant l’enquete; messieurs les enqueteurs –...

– Acte II

Tableau 5 (Même scène sans décor. Un cône de lumière sur Beaumarchais assis, face à la rampe. Un deuxième cône de lumière sur Pâris-Duverney , assis lui aussi sur une chaise, de dos vers la rampe, éventuellement dans la pénombre, de manière a ne pas permettre qu’on se rend compte s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Debout, près de sa chaise, une jeune servante , face au public, lit à haute voix.) LA JEUNE FILLE (lit san difficulté, mais, en fonction des messages chiffrés de la lettre, donc sciemment obscurs, elle s’arrête et laisse voir sa stupeur ): “Mon enfant. Comment se porte la chère petite ? Il y a longtemps que nous ne nous sommes embrassés. Nous sommes de drôles d’amants ! nous n’osons nous voir, parce que nous avons des parents qui font la mine: mais nous nous aimons toujours. Ah ça ma petite ! La petite sait bien que, dans l’origine, le mot fleur signifiait une jollie petite monnaie, et que compter fleurettes aux femmes était leur bailler de l’or; ce qui a tant plu à ce sexe pomponné . Je voudrais donc que la petite me comptât fleurette et qu’elle n’en comptât un beau bouquet.”(Après l’effort fait pour vaincre les difficultés du texte et l’étonnement, elle reste les pieds légèrement écartés. Une certaine pause et Pâris-Duverney se lève doucement, très doucement, toujours dos au publique, il paraît gagner en hauteur mais à vrai dire il s’allonge tout à fait, il ne finit de croître, jusqu’à ce qu’il reste raide. Brusquement courbé, ramoli, il se met à contourner la tâche de lumière, s’appuyant sur un bâton. Ses différentes façons de marcher sont tout autant de messages: la marche rapide, à grands pas trahit la nervosité; la marche désordonnée, traînante, à pas...

– Acte III

Tableau 9 BEAUMARCHAIS: Monsieur le Duc d’Aiguillon, je crois que vous avez été informé … D’AIGUILLON (sûr): Au fait, je l’ai été. Je suis le plus informé des ministres de France . BEAUMARCHAIS: C’est ce que tout le monde sait. (Continuant) … Je fus envoyé en Grande Bretagne sur l’ordre de Sa Majesté Louis XV … D’AIGUILLON: Donc vous reconnaissez tout seul et sans que personne vous y contraigne d’avoir été en Angleterre … BEAUMARCHAIS: Je vous le fait savoir puisque c’est mon devoir … D’AIGUILLON: En vérité, c’est le devoir de tous ceux qui font leur devoir et ne doivent pas rester mes débiteurs, ce que je ne puisse les conseiller. BEAUMARCHAIS: J’ai contacté de Morande: l’expédition de sa libelle et du Gazetier fut arrétée jusqu’à mon retour avec 20.000 francs et une rente de 4.000 pour le nommé Théneveau de Morande. D’AIGUILLON: En vérité, vous ne mentez pas; je savais tout, monsieur … BEAUMARCHAIS:… de Ronac, le chevalier de Ronac, Excellence; c’est mon nom conspiratif, l’anagrame du nom de mon père. D’AIGUILLON: En vérité, c’est bien de ne pas conspirer sous notre propre nom. Donc, monsieur Anagrame, c’est le seconde partie de votre mission qui commence. Vous retournerez en Grande-Bretagne comme vous l’avez dit, vous contacterez de Morande, comme vous l’avez dit, vous lui tirez les vers du nez, pour apprendre quels sont les Français qui se tiennent dans son ombre, comme vous l’avez dit … BEAUMARCHAIS: Votre Excellence, je n’ai pas dit tant de choses pour ne savoir plus ce que j’ai dit … Or … D’AIGUILLON: En vérité, c’est ce que vous n’avez pas dit. Mais, comme vous l’avez dit, vous l’auriez dû dire … Donc, il doit s’agir d’un complot, de Morande n’est que l’instrument, comme vous l’avez dit, la tête respire en tête-à-tête avec Sa Majesté. Vous apprendrez son...