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– Acte II

Tableau 5

(Même scène sans décor. Un cône de lumière sur Beaumarchais assis, face à la rampe. Un deuxième cône de lumière sur Pâris-Duverney , assis lui aussi sur une chaise, de dos vers la rampe, éventuellement dans la pénombre, de manière a ne pas permettre qu’on se rend compte s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Debout, près de sa chaise, une jeune servante , face au public, lit à haute voix.)

LA JEUNE FILLE (lit san difficulté, mais, en fonction des messages chiffrés de la lettre, donc sciemment obscurs, elle s’arrête et laisse voir sa stupeur ): “Mon enfant. Comment se porte la chère petite ? Il y a longtemps que nous ne nous sommes embrassés. Nous sommes de drôles d’amants ! nous n’osons nous voir, parce que nous avons des parents qui font la mine: mais nous nous aimons toujours. Ah ça ma petite ! La petite sait bien que, dans l’origine, le mot fleur signifiait une jollie petite monnaie, et que compter fleurettes aux femmes était leur bailler de l’or; ce qui a tant plu à ce sexe pomponné . Je voudrais donc que la petite me comptât fleurette et qu’elle n’en comptât un beau bouquet.”(Après l’effort fait pour vaincre les difficultés du texte et l’étonnement, elle reste les pieds légèrement écartés. Une certaine pause et Pâris-Duverney se lève doucement, très doucement, toujours dos au publique, il paraît gagner en hauteur mais à vrai dire il s’allonge tout à fait, il ne finit de croître, jusqu’à ce qu’il reste raide. Brusquement courbé, ramoli, il se met à contourner la tâche de lumière, s’appuyant sur un bâton. Ses différentes façons de marcher sont tout autant de messages: la marche rapide, à grands pas trahit la nervosité; la marche désordonnée, traînante, à pas accompagnés de gestes, éventuellement en clopinant, la réflexion; La Jeune Fille lui montre une lettre nouvelle . Ils reprennent la scène précédente.)

LA JEUNE FILLE (lisent): Il m’est difficile de comprendre comment on est arrivé à cette idée … (Elle continue en mimant la lecture.) J’ai peur que se sera une victoire difficile. Je brùle la présente.

PÂRIS-DUVERNEY (Répète le jeu. S’approche de la Jeune Fille . Au début sa voix sera ridiculement aïgue. En reprenant la proposition, sa voix redevient normale: celle d’un homme de 80 ans mais plein d’énergie ): Assieds-toi, ma bonne ! Assieds-toi , ma bonne ! ( La Jeune Fille tourne la chaise face au public et s’asseoit. Pâris-Duverney s’éloigne d’un pas, excessivement penché en arrière et pousse le bout de son bâton vers elle.): Écris ! ( La jeune Fille écrit. Elle mime l’emploi de la plume, un encrier et du papier imaginaires. Elle reprend ses mots à mi-voix. ) Euh ! Euh ! Demain …

BEAUMARCHAIS (lit, pendent que les deux autres restent figés ): Demain, entre cinq et six heures. Si je ne serai pas là vous devrez m’attendre. (Il se lève et s’en va d’un pas décidé vers l’arlequin opposé .)

PÂRIS-DUVERNEY (part; plein de prudence; s’arrête; marche sur la pointe des pieds; s’ccroupit et cache sa figure derrière ses genous, se relève avec d’énormes difficultés, il cole son dos à un mur imaginaire jusqu’à se confondre avec celui-ci. Enfin, il mime toutes les péripéties d’une personne poursuivie dans les rues de Paris. Quand il voit Beaumarchais , sa voix trahit sa peur d’être entendu par un espion présumtif.) Mon pauvre ami, je suis trop vieux. N’est-ce pas ? Trop vieux … Trop faible. N’est-ce pas ? Trop faible … Je n’ai plus la liberté de mes mouvements. N’est-ce pas ? De mes mouvements … Depuis six mois, six mois, mon neveu habite avec moi, n’est-ce pas ? Mon neveu … C’est une hyène, n’est-ce pas ? Une hyène. C’est un chacal, n’est-ce pas ? Un chacal … C’est une taupe, n’est-ce pas ? Une taupe … Mais, que puis-je faire ! C’est mon héritier, n’est-ce pas ? Mon héritier … Et s’il est mon héritier, je lui ai ouvert mes portes. N’est-ce pas ? Mes portes … (Explosion.) Mes portes à moi ! Car, il doit veiller sur son avoir, n’est-ce pas ? Son – a – voir … Et v’là … ma liberté est fichue . (Gestes correspondants des mains.) Ma – li – ber – té … est … fi – chue … (Discrètement, rêveur.) Fi – chue … Je me gêne … de recevoir … des visites … galantes …

BEAUMARCHAIS: Mais, c’est une nécessité, cher ami, une urgente nécessité de lui faire savoir que nous sommes associés, que nous avons d’intérêts communs, que …

PÂRIS-DUVERNEY: … et que. Je lui ai fait savoir que, et que, et que …

BEAUMARCHAIS: Quant à lui … ?

PÂRIS-DUVERNEY: Quant à lui, il fait savoir à n’importe qui veut l’écouter qu’ils vous dé – tes – te ! Qu’il vous mettrait en mille morceaux de bon cour. Qu’il va se mettre en quatre pour vous éloigner de moi ! Que, étant une hyène, un chacal, une taupe, c’est pas lui, c’est vous , qui êtes en cause – qu’il va vous enterrer pour sùr ! Que voulez-vous, mon cher ami ? C’est mon neveu La Blanche, et je vous félicite de vous abstenir de la rencontrer et surtout …

BEAUMARCHAIS: … de m’abstenir de vous rencontrer vous-même ! …

PÂRIS-DUVERNEY: … de vous abstenir de me rencontrer moi-même. Donc, n’espérez pas de nous revoir trop souvent, n’est-ce pas ? Trop souvent …

BEAUMARCHAIS: Et je ne porterais pas plainte d’avoir été trop fatigué par nos rencontres.

PÂRIS-DUVERNEY: … Nous continuerons notre passionante correspondance …

BEAUMARCHAIS: … Vous restez donc, “ma très chère petite” … Mais …

PÂRIS-DUVERNEY: Mais ?

BEAUMARCHAIS: Mais, comment nous debrouillerons-nous quant à mon argent ?

PÂRIS-DUVERNEY: Votre argent ? Oui. Votre argent ! C’est vrai. Toute chose à son temps, mon cheri ami.

(Ils se séparent. Beaumarchais ce dirige vers Jacques Coquaire-Fils , poursuivi par la lumière. Pâris-Duverney sort.)

BEAUMARCHAIS (à Jacques Coquaire-Fils ): Quand il m’a fixé une nouvelle rencontre pour me donner l’argent, j’étais drôlement malade. La fièvre, des ruisseaux de sueur, le délire. Une fois guéri et que je voulu le revoir, il était mort …

(La lumière s’amoindrit. Spot sur La Blache . Beaumarchais évoluera à côté de celui-ci.)

LA BLACHE: Très honoré Monsieur le Notaire. J’ai regardé l’acte. La signature n’appartient pas à feu Monsieur Pâris-Duverney, mon oncle. C’est un faux.

BEAUMARCHAIS: J’ai travaillé pour M.Pâris-Duverney dès mon enfance. C’est s û rement sa signature.amante a dit un vieux fonctionnaire.

LA BLACHE: Je hais Beaumarchais autant qu’un homme peut aimer son amante.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Beaumarchais, quelle fut votre part: l’argent ou le gibet ?

BEAUMARCHAIS: Je me disais que s’ils allaient me pendre, la corde devait casser.

LA BLACHE: Monsieur le Juge, je ne voudrais pas que vous fùtes éconduit par les apparences et influencé par elles dans le procès que vous allez présider bientôt. Beaumarchais, ce roturier, qui fut chassé par son père à 16 ans pour vol et débauche, et qui est devenu portfaix, jongleur, forain, qui a tué sa première femme et a entretenu la seconds à un régime de mort-aux-rats à dose double, tricheur en Espagne, perdant les dernières centimes de sa bourse d’honorabilité, a extorqué de mon oncle tout ce qu’il lui restait pour ne pas mourir de faim, a été jeté par la fenêtre par Medames, et est une canaille ordinaire etc. etc. etc. Point. (Pendant la réplique suivante La Blache disparaît.)

BEAUMARCHAIS: Tonne et foudrois Joseph Alexandre Falcoz de La Blache. Suc, démène-toi, torture-toi, rampe, tortille-toi; travaille de ta bouche, grogne, jappe, aboie, tousse, vocifère, hurle, mugis, brame, rugis; fronce tes sourcils, tord ton cul de figure, bats l’air de tes mains, fraye-toi un avenir, joue des pieds, fait la grimace de mille diables; pousse les sons des souris, miaule, cris, perds ta voix; serpente, avance à genoux, à quatre pattes, saute comme la grenouille, fuis comme le lapin, enjambe comme le lion; noue-toi, dénoue-toi, raidis-toi et coule. Gèle et dégèle, volatilise-toi et pétrifie-toi; fais-toi poussière et balaies-toi; plaide, plaide, plaide; rougis et jaunis, fais-toi canaris chantant, alouette et rossignol; fais-toi lynx, loup, panthère, fais-toi punaise et élèphant, et surtout sois singe comme t’as fais la p’tite mémère dans ses linges virginaux où, sauf ton pépère et son général, il n’y a eu à coucher que le reste du régiment et la flotte de Sa Majesté, quelques milliers de cavaliers et quand il y avait de la place libre, quelques dizaines de milliers de spadasins de la France; donne-toi toutes les peines du monde, éreinte-toi, fore ton ventre, fais tout ton possible pout mettre bas une preuve pour faire incliner la balance de justice en ta faveur, rejavorton l’immondice ! Jusqu’alors, j’écris Le Barbier de Séville !

JACQUES COQUAIRE-FILS: Ça vous a pris des ans, n’est-ce pas ?

BEAUMARCHAIS (prenant place près de lui): Deux ans. Comme le procès avec La Blache. Le premier.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Le premier ?

BEAUMARCHAIS: Ben quoi ? Vous pouvez croire qu’il a été hereux de me voir gagner ?! Il a fait appel.

LA VOIX DU GEÔLIER EN CHEF: Eh, vous, là-bas … Beaumarchais, porc de chien !

JACQUES COQUAIRE-FILS: Sois fort, mon ami …

LE GEÔLIER EN CHEF (entre pressé): Chien de chien, Beaumarchais. V’là c’qui est écrit dans ce document. Nom de chien, t’as déjà été une fois bouclé ! Pas vrai ? Nie-pas, car je sais tout. Mais j’veux t’entendre reconnaître de ta propre voix: as-tu ou n’as-tu pas …? (Le geste de faire boucler quelqu’un.)

BEAUMARCHAIS: Ce n’est pas un secret. Ou, comme tout secret, tout un chacun de Paris le connaît.

LE GEÔLIER EN CHEF: À For-l’Évêque, chien de ma chienne ?

BEAUMARCHAIS: À For-l’Évêque.

LE GEÔLIER EN CHEF: … à vos ordres …

BEAUMARCHAIS: Vous êtes trop bon …

LE GEÔLIER EN CHEF: Tu te foute de moi, Monsieur ?!… Nous connaissons ça, les intellectuels. Ou a déjà vu une ou deux fois. Et c’est toujours par le nez que leur sang a jailli. C’est chose plus facile qu’avec les gens de rien. Les intellectuels portent le nez haut, on a juste plus facilement son tire ! (Il rit. ) T’as de la chance que j’ai un tas d’affaires; ah, comme ça m’irait de voir la couleur de ton dedans. J’dois dresser la fiche. Donc, la ferme et répond aux questions. Sois attentif aux réponses, puisque ce dossier va te poursuivre toute ta vie dans tes geôles. Si t’es honnête on va te pardonner tout. Ce serait bien, n’est-ce pas ? Donc ! … Connais-toi le duc de Chaulnes ?

BEAUMARCHAIS: Bien sûr. Nous étions bons amis jusque …

LE GEÔLIER EN CHEF: Ne m’embrouille pas. Quel est la réponse correcte ? Oui, non, ou ce n’est ce pas le cas ?

BEAUMARCHAIS: Ce n’est ce pas le cas de vous le dire à vous. ( Jacques Coquaire-Fils tousse significativement, pour le tempérer.)

LE GEÔLIER EN CHEF: T’es dit ? Espèce de …, t’as perdu ta raison ? Tu veux que je laisse mes affaires pour te bourrer ?

JACQUES COQUAIRE-FILS: Ce n’est ce pas le cas de vous fâcher, Monsieur le Geôlier en Chef. Monsieur de Beaumarchais veut rester discret en ce qui concerne des affaires impliquant d’autres messieurs de la noblesse.

LE GEÔLIER EN CHEF: Je tire ma révérance à la noblesse … mais qu’est-ce que ça me fait, sa destruction ? Les faits, c’est les faits qui comptent pour moi. Sois tout oreille, Beaumarchais et ne gâche pas le reste de ton brin de vie. Connais-tu le duc de Chaulnes ? Oui ? Non ? Ou: ce n’est pas le cas ?

BEAUMARCHAIS (ennuyé): Oui, oui, oui.

LE GEÔLIER EN CHEF: Une seule fois, c’est assez, Vous êtes-vous brouillés ?

BEAUMARCHAIS: Une seule fois ce me fut assez …

LE GEÔLIER EN CHEF: Le motif ?

BEAUMARCHAIS: La femme …

LE GEÔLIER EN CHEF: La tienne ou la sienne ?

BEAUMARCHAIS: Jusqu’alors la sienne. Après, à personne.

LE GEÔLIER EN CHEF: Raconte, en détail, ce qui s’est passée.

BEAUMARCHAIS: Tout y est, dans le dossier de l’enquête.

LE GEÔLIER EN CHEF: Bodronille, l’enquêteur est un ange, moi, je suis l’archi-enquêteur. Vas-y, déplume-toi !

JACQUES COQUAIRE-FILS (médiateur): Monsieur de Beaumarchais … Mon ami … (plus bas) … racontez-lui, faites-le pour moi.

BEAUMARCHAIS: De Chaulnes, s’était disputé avec Mlle Mesnard; pour de bon. Un jour, elle m’avait prié de lui rendre visite. En partant de chez elle, dans l’escalier, De Chaulnes. (Arrogant.) “Bonjour, Monsieur”, qu’il dit. (Avec ironie.) “Bonjour, Monsieur”, que je dis. Comment ç a va”, j’ajoute et j’étais sur le point de continuer: “et l’amour ?” Il a senti l’ironie. Je suis allé à la capitainerie de la Varenne du Louvre. (La lumière s’éteint. Elle reparaît ailleurs sur la scène. Un banc sans dossiers; le Jeune Braconnier , en haillons, est assis. Beaumarchais , en toge de magistrat, paraît et prend place à une table simple, devant l’accusé. À son entrée, le Jeune Braconnier se relève. Beaumarchais lui fait signe de s’asseoir.) Donc, vous avez tendu des pièges aux lapins ?

LE JEUNE BRACONNIER: Moi ? Pas.

BEAUMARCHAIS: Qui donc alors ? Moi ?

LE JEUNE BRACONNIER: Ça, je ne puis le savoir.

BEAUMARCHAIS: Très logique.

(Spot sur le Geôlier en Chef .)

LE GEÔLIER EN CHEF: Toi aussi, tu aime la logique. T’es quelqu’un, mon con. T’en fais pas. Si nous aurons le temps, je vais te perfectionner …

(La lumière s’éteint.)

BEAUMARCHAIS: Sache que je n’es pas tendu de pièges.

LE JEUNE BRACONNIER: Mes félicitations. Moi non plus.

BEAUMARCHAIS: Mes félicitations. Tout de même, vous vous trouvez devant la justice pour braconnage, si ça ne vous dérange pas …

LE JEUNE BRACONNIER: Ça ne me derange pas du tout. Continuez, s’il vous plaît.

BEAUMARCHAIS: Écoutez ! Savez-vous devant qui vous vous trouvez ?

LE JEUNE BRACONNIER: Avec votre permission, devant un auteur dramatique célèbre …

BEAUMARCHAIS (un peu surpris mais reprenant sa contenance): … par les injures subies …

LE JEUNE BRACONNIER (le flattant): Mais pas de ma part. Je suis un admirateur.

BEAUMARCHAIS (avec humour): Très logique .

(Spot sur le Geôlier en Chef .)

LE GEÔLIER EN CHEF: Bien dit. Beaumarchais ! T’as une tête bien meublée ! …

(Le spot s’éteint.)

BEAUMARCHAIS: Et l’histoire des lapins ?

LE JEUNE BRACONNIER: Ben, deux ou trois par semaine …

BEAUMARCHAIS: Vendus ?

LE JEUNE BRACONNIER: Pas si sot ! J’aime aussi le gibier …

BEAUMARCHAIS: Mais comment fais-tu pour les attraper ?

LE JEUNE BRACONNIER (avec emphase): Je ne les attrape pas. Tireur d’élite !

LE DUC DE CHAULNES ( apparait comme un fou, un pistolet à la main): Je tire ! Je tire, salaud ! Je vais te montrer ce que ça fait que de désirer ma maîtresse.

BEAUMARCHAIS: Monisuer le duc de Chaulnes, vous vous trouvez devant un tribunal !

LE DUC DE CHAULNES: Devant un bon à rien que je vais tuer !

BEAUMARCHAIS: Tues tes poux ! Et je vous prie de faire cette opération dehors !

LE DUC DE CHAULNES: Vous venez avec moi pour nous battre en duel, ou je tire au lapin, dans cette sale ! …

BEAUMARCHAIS: Je suis désarmé, Monsieur. Veuillez, bien m’accompagner chez moi. (En passant, au Jeune Braconnier .) Vous avez l’occasion d’apprendre ce que c’est que … “Le braconnage de personnes physiques”. (La lumière s’éteint. Nouveau cône de lumière dans une autre partie de la scène: une table dressée et offrent des mets très fins ; apparaissent le duc de Chaulnes et Beaumarchais . Beaumarchais conduisant son hôte et l’aidant à s’asseoir.): Mon cher Duc, du moment qu’on est chez moi, sachez que je ne suis pas habitué à déjeuner seul. Soyez donc mon invité.

LE DUC DE CHAULNES: Justement j’avais faim.

BEAUMARCHAIS: Moi aussi je pensais: pourquoi le tuer à je û ne ? …

LE DUC DE CHAULNES: Pour ma part, je préfère me faire revitailler avant de vous faire mourir.

BEAUMARCHAIS: Ainsi donc, en prenant place à table, tous les deux nous réalisons nos buts secrets et chacun est content …

LE DUC DE CHAULNES: Non pas, je ne vous vois pas baigné de sang !

BEAUMARCHAIS: Pour sûr, c’est exactement ce que j’ai pensé. Mais c’est vous que je voyais dans cette situation privilégiée …

LE DUC DE CHAULNES: Le vin est excellent. Quelle année ?

BEAUMARCHAIS: 1753.

LE DUC DE CHAULNES: Un bouquet de 20 ans … (Rêveur.) Vous allez puer le cadavre depuis longtemps avant 20 ans.

BEAUMARCHAIS (cueillant une mouche de son assiette ): Voyez-vous cette mouche ? Ça lui a pris plus de temps pour succomber dans le ragout qu’il ne vous faudra à vous mêmes pour mourir dans le brochette de mon épée.

LE DUC DE CHAULNES: Beaumarchais, je crois avoir mangé assez …

BEAUMARCHAIS: Ce n’est pas encore assez, mon ami pour nous réconcilier …

LE DUC DE CHAULNES: Pour … faire quoi ? C’est vous qui dites ça ? Vous qui m’avez porté préjudice dans mon lien d’amour ?

BEAUMARCHAIS: Mademoiselle Mesnard est une femme libre. Vous deux, vous vous êtes séparés depuis longtemps.

LE DUC DE CHAULNES: Une femme qui m’a aimé ne sera jamais libre. Vous devez mourir. C’est l’honneur qui l’exige.

BEAUMARCHAIS: Mourir seulement ?

LE DUC DE CHAULNES: Je vous préviens que si vous n’allez pas dégainer …

BEAUMARCHAIS: Moi aussi, je vous préviens que si je vais dégainer … je pourrais vous déca … (Signe de couper la gorge. Voit une lettre sur le plateau. ) Ah ! une lettre … vous ne m’en voulez pas si je … (Romps les cachet, veut lire.)

LE DUC DE CHAULNES (arrache la lettre et la jette): Assez de blagues ! Tirez l’épée !

BEAUMARCHAIS: Nous avons bien mangé, bien bu …

LE DUC DE CHAULNES: Le moment est venu de bien mourir. (Il dégaine.) Et puisque vous êtes trop lâche pour tenir une arme à la main, je vais vous empaler comme un vilain rat ! … (Il se rue sur lui.)

BEAUMARCHAIS (courant autour de la scène, poursuivi par de Chaulnes . De deux bonds il s’empare d’un porte cierge métallique et d’une petite pèle à charbon, avec lesquels il se défend. Finalement, Beaumarchais désarme le duc, qui lui déchire les vêtements, égratigne, fait emploi de claques, de coups de poing et de pieds. ): Au secour ! Jean ! Jacques ! Mes amis ! À la rescousse ! ( Le duc de Chaulnes le désarme à son tour. Entrée des serviteurs qui préfèrent assister à la lutte que d’y intervenir.) Imobilisez-le, voyons ! Arrêtez-le ! Ne voyez-vous pas qu’il est fou de rage ? Voulez-vous que je vous coupe le salaire ?!

LE DUC DE CHAULNES (Peut proférer n’importe quelle autre menace et injure du type ): Misérable ! Canaille ! Mon épée va te sortir par ton cul ! Je vais te hâcher et te donner aux corbeaux ! Je vais faire engraisser la terre de tes restes immondes, etc.

BEAUMARCHAIS (tout en courant, s’arrête quand il a l’occasion, en criant): Police ! Police ! Au secour ! Il est fou ! (Tous les deux, quand ils passent auprès de la table, s’arrêtent un moment pour goûter quelque chose. De grands coups à la porte .)

LA VOIX DU COMMISAIRE: Ouvrez ! Ouvrez ! Police ! (Il entre.) Au nom du Roi ! arrêtes-vous ! Vous êtes arrêtés !

LE DUC DE CHAULNES: Qui, moi ? ! Savez-vous qui je suis ? !

LE COMMISAIRE (à Beaumarchais , à mi-voix): Qui est-ce ?

BEAUMARCHAIS: Le Duc de Chaulnes.

LE COMMISAIRE: C’est lui le duc ? Alors c’est vous le coupable. (Il l’agrippe.)

(La lumière s’éteint. Spot sur le Geôlier en Chef , seul.)

LE GEÔLIER EN CHEF: C’est logique. Si c’était lui le duc, il ne restait que vous comme coupable ! Donc, Beaumarchais, répondez par oui, non, ou ce n’est pas le cas: Reconnaissez-vous d’avoir été bouclé en bonne justice ?

(le spot s’éteint.)

 

Tableau 6

SARTINES: C’est bien vrai, cher monsieur de Beaumarchais que vous avez le visa des censeurs, celui de Monsieur Marin et le mien, depuis une bonne année …

BEAUMARCHAIS: … et tout de même, Monsieur Sartines, vous avez la témérité de me dire qu’on ne va plus jouer Le Barbier de Séville après avoir progressé avec les répétitions jusqu’au seuil de la première !

SARTINES: Ce n’est pas votre faute si l’on fait tant de bruit autour de votre personne.

BEAUMARCHAIS: Très cher et respecté monsieur, c’est vous même, qui l’avait dit: ce n’est pas moi qui fait le bruit, mais ce sont les autres …

SARTINES: Le scandal que a éclaté dans la salle à l’occasion du dernier spectacle d’ Eugénie vous a fait beaucoup de mal …

BEAUMARCHAIS: Vous croyez ? ! Quant à moi, je me suis senti très à l’aise. Le public a compris comme il faut mes accusations contre la justice corrompue …

SARTINES: Bien vrai, mais dans le contexte de votre procès …

BEAUMARCHAIS: Lequel, mon cher monsieur ? La Blache fait appel. Je sollicite d’être reçu par le rapporteur officiel, le très digne de respect magistrat de Sa Majesté, Goëzman, et l’on me laisse entendre que je ne le peux voir qu’en lui graissant la patte. Je vois mon pot-de-vin et l’on ne me reçoit toujours pas on désire un cadeau. Je donne le cadeau, on me demande de l’argent pour le secrétaire aussi. J’envoie l’argent pour le secrétaire. Mon pot-de-vin me revient, mon cadeau fait virevolte, je perds mon procès et du coup, tout mon avoir, mon foyer y compris , mais … l’argent destiné au secrétaire ne m’est pas restitué. Comme c’était-là de l’argent emprunté, je pose des questions, je fais des recherches et j’apprends que le secrétaire était un ange d’innocence qui n’avait rien empoché. C’était Madame Goëzman, la femme du magistrat, qui avait fait la caisse retenant la commission de l’intermédiaire. Je rends l’affaire publique et mes amis sont convocqués, menacés, maltraités. Ils signent des déclarations dictées m’accusant toutes de corruption des fonctionnaires de la justice. Je me démène comme un diable, je retourne le monde sens dessus – sens dessous: celui qui a dit oui, dit maintenant non; celui qui a dit non, reconnaît que oui; le faux s’avère être authentique est la vérité – un mensonge; l’incorruptible magistrat resplendit d’une lumière nouvelle: un mendiant vulgaire, faussaire d’actes publiques, un traficant d’influence s’arrogeant une identité inexistante, un manipulateur des réalités comme si celles-ci étaient des marionettes dans un théâtre particulier, un excroc et un bourreau. Je prouve à l’opinion publique par quatre brochures …

SARTINES: Ben v’oui, ben v’oui, c’est bien ça … les quatre Mémoires …

BEAUMARCHAIS: … par quatre Mémoires qu’une conjonction du vice, de l’égoïsme et de la malhonnêteté s’est roués sur moi. Voltaire me salue; Goethe prend le sujet d’une de ses ouvres dans un de mes Mémoires . Paris, la France, l’Europe riaient à chaque petit mot que je lançais contre mes adversaires que j’ai écrasé comme des poux, comme des puces …

SARTINES: … comme des pucelles …

BEAUMARCHAIS: … comme des pucelles, pourquoi pas ? Et vous, monsieur Sartines, vous venez maintenant me dire que je n’ai plus le droit à ma première du Barbier ?! je vais l’avoir ma premiére. J’insiste de ne plus perdre notre temps en discussions stériles. Dites à vos supérieurs que si quelqu’un va s’opposer à moi, je demanderai la permission de lire le texte devant le Parlement et je publierai de plus un nouveau mémoire pour montrer combien la censure de Sa Majesté le Roi de France est incapable ! (Il lui tourne le dos et s’éloigne.) Elle est bonne celle-là ! J’ai depuis un an le visa de la censure et je n’ai pas le droit d’être joué. On ne pouvait rien inventer de mieux ! … (vers Sartines.) Mais combien de censures existent-i-ils Monsieur Sartines, dans ce pays ?

(La lumière s’éteint.)

 

Tableau 7

JACQUES COQUAIRE-FILS: Et le procès, quelle fut sa destinée ?

BEAUMARCHAIS: Nous avons tous été punis. – Goëzman, sa femme et moi. Mais je crois que je le fus le plus sévèrement. Parmi d’autres choses, je devais faire amende honorable, à genoux, tête baissés, mains au dos, pour avoir attaqué la Magistrature dans mes Mémoires . Je devais, aussi, écouter le Président dire: “Je te blâme et je te déclare infâme !” Et pour que la mesure soit comble, mes Mémoires allaient être déchirées et brûlées au pied du grand escalier de la Cour ! C’était au-dessus de mes forces. Si, craignant d’être mis au pilori au centre de Paris j’avais pensé à me tuer, maintenant, face à la “douceur” de leur sentence, il ne me restait qu’à m’exiler en Angleterre …

JACQUES COQUAIRE-FILS: Ont-il vraiment brûlé les Mémoires ? Curieusement, je n’en ai aucun souvenir !

BEAUMARCHAIS: Ils n’ont pas eu le courage. Atterré, je m’étais caché. La tout Paris a défilé devant ma porte (ceux qu’il citera ci-après traverseront la scène et rendront hommage à Beaumarchais: salutations, accolades, baisers, soupirs, les mains sur les épaules, une fleur etc. etc., tout cela d’une manière très variée.) Le Duc de Nivernais, la Marquise de Tessé, le Duc de Noailles, le Duc d’Orléans, le Prince de Monaco, Monsieur de Miromesnil, le Duc de Chartres, Madame la Contesse de Miramont, le Duc de Richelieu, le Duc de la Vallière, Monsieur de Maurepas, Monsieur de la Borde, Monsieur de Mézieu, le Prince de Conti, imaginez-vous, cher Jacques Coquaire-Fils, que le censeur même, Monsieur de Sartines est venu incognito. Son goût littéraire était trop fin pour qu’il souffrit la manière indiscrète dont on malmenait l’auteur du Barbier .

SARTINES (paraissant): Je sais et je comprends.

BEAUMARCHAIS: À partir du moment où je ne suis plus rien, je commence à signifier quelque chose pour tout le monde. Qu’est-ce qu’on en parle, quant vont-ils m’humilier ?

SARTINES: Je sens que la sentence ne va être jamais exécutée. Paris gronde. On ne peut plus prononcer le mot “magistrat” sur la scène, que tout le parterre explose en huées. Un de ces soirs l’on jousit Crispin, rival de son maître. Un juge fut identifié parmi les spectateurs . Il dut quitter la salle, sifflé par tout le monde.

BEAUMARCHAIS: Je ne crois pas que cela soit à mon avantage.

SARTINES: Moi non plus.

BEAUMARCHAIS: Et alors ? …

SARTINES: Vous parliez de partir en Angleterre …

BEAUMARCHAIS: Et là-bas ?

SARTINES: Là-bas vous travaillerez à votre réhabilitation d’ici …

BEAUMARCHAIS: Là-bas, à ma réhabilitation d’ici ? …

SARTINES: Jamais chance plus à propos.

BEAUMARCHAIS: Quant à la chance … Voyons un peu: des humiliations publiques, succédant au désastre financier qui fut concomitant au ratage du dramaturge constituent tous ensemble une occasion des plus hereuses … Je vous félicite, Sartines ! Quel humour … Vous êtes imbattable !

SARTINES: Eh, bien, apprenez qu’en Angleterre paraît Le Gazetier cuirassé …

BEAUMARCHAIS: Le Gazetier cuirassé ?! … Puisse-t-il y avoir un nom de gazette plus guerrier ?

SARTINES: C’est Théneveau de Morande qui l’édite, un salaud qui veut passer pour refugié politique …

BEAUMARCHAIS: Un lutteur donc.

SARTINES: Et ce drôle vient de publier les Mémoires secr e ts d’une femme publique …

BEAUMARCHAIS: Un titre de succés par sa picanterie. Et ce doit être un récit long comme un jour de je û ne …

SARTINES: Il a expédié un exemplaire à Madame du Barry qui, affirme l’intrigant, aurait été son modèle pour ses Mémoires secr e ts …

BEAUMARCHAIS: Quel mensonge éhonté ! Une vierge immaculée comme Madame du Barry ! … Est-ce qu’elle fut flatée ?

SARTINES: Madame du Barry a prié le roi de fermer la boutique du clabaudeur …

BEAUMARCHAIS: Et Sa Majesté … ?

SARTINES: Elle m’a mandé pour me faire dépêcher quelques agents qui: primo …

BEAUMARCHAIS: Primo …

SARTINES: … empoignent de Morande, l’amballent et l’expédient en France; ou secundo …

BEAUMARCHAIS: … secundo .

SARTINES: … l’amballent et l’expédient au fond de la Tamise …

BEAUMARCHAIS: Donc, du point de vue de l’Anglais – c’est un point de vue très commercial, vous le savez -, c’est soit un business d’exportation, soit l’un qui intéresse le marché local.

SARTINES: Sans taxes de douane, ni de transport. J’avais obtenu l’avis secret de Sa Majesté britannique pour les deux opérations. Dommage que mes agents ont contacté une femme de mours …

BEAUMARCHAIS: … similaire à ceux de Madame du Barry .

SARTINES: Sans poids sur la balance, Beaumarchais, sans poids … la dame de Godeville …

BEAUMARCHAIS: … et puisque god dans le patois d’outre-mer veut dire Dieu, voilà que son nom prédestiné est la “Cité de Dieu”, un vrai paradis pour vos agents …

SARTINES: … ils l’ont contacté, je vous disais …

BEAUMARCHAIS: … dans sa qualité d’espion français ?

SARTINES: Oh, non, dans sa qualité, sapristi …

BEAUMARCHAIS: … nocturne …

SARTINES: Voilà le mot. Et ainsi … le secret d’état …

BEAUMARCHAIS: … est parvenu à des tas de gens .

SARTINES: Tout juste.

BEAUMARCHAIS: Et le lapin, Monsieur Théneveau de Morande …

SARTINES: … a commencé à gueuler que les refugiés politique ne peuvent plus se fier au roi d’Angleterre …

BEAUMARCHAIS: Voilà du bon !

SARTINES: Ce fut le moment propice d’inviter discrètement nos agents à quitter l’île pourvu qu’on ne les prend comme espions français.

BEAUMARCHAIS: Et vous croyez que moi …

SARTINES: C’est ça. Puisque vous allez quand méme en Angleterre, les mains dans les poches …

BEAUMARCHAIS: Vous voulez me faire un tour sur les quais de la Tamise et pêcher dans ses aux troubles, voir si le Théneveau va morandemordre …

(La lumière s’éteint.)

 

Tableau 8

(Rideau de voile. On projette ci-contre un bateau en papier, sur l’image de quelques dispositifs représentant une terrible tempête en mer. De temps en temps, éclairs et tonnerres. Le vent hurle sauvagement. La rugissement des vagues. Beaumarchais et Jacques Coquaire-Fils: ombre chinoises.)

BEAUMARCHAIS: Jacques ! Jacques ! Venez m’aider au timon ! Nous voilà dans de mauvais draps dans cette misérable La Manche !

JACQUES COQUAIRE-FILS ( en courant): J’arriiive ! Me voilà ! Courage ! Si les loups de mer ont survécu à de telles tempêtes, qu’en parler de nous qui sommes hommes véritables ! …

BEAUMARCHAIS: Voilà, nous avons échappé aux gueules des loups à figures humaines; qui pourrait donc nous faire trembler ?!

JACQUES COQUAIRE-FILS: Attention au babord !

BEAUMARCHAIS: Fragile ! Fragile cette coque d’ouf qui nous emmène ! …

JACQUES COQUAIRE-FILS: Mieux dire, ce cercueil qui fait la planche !

BEAUMARCHAIS: Je me sens dans mon berceau … Parbleu, si je ne reconnais les signes du retour d’âge en pensant que j’ai accepté de partir pour l’Angleterre comme agent secret.

(Foudres.)

(Lumière. À l’un des arlequins le Comte et Figaro , quelques fragments des Noces: III, 5.)

LE COMTE: (…) J’avais quelque envie de t’ammener à Londres, courrier de dépèches; … mais, toutes réflexions faites …

FIGARO: Monseigneur a changé d’avis ?

LE COMTE: Premièrement, tu ne sais pas l’anglais.

FIGARO: Je sais: God-dam .

LE COMTE: Je n’entends pas.

FIGARO: Je dis que je sais: God-dam .

LE COMTE: Hé bien ?

FIGARO: Diable ! c’est une belle langue que l’anglais; il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam , en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. (…) Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci par-là quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue; et si Monseigneur n’a pas d’autres motif de me laisser en Espagne … (…)

LE COMTE: Avec du caractère et de l’esprit, tu pourrais un jour t’avancer dans les bureaux.

FIGARO: De l’esprit pour s’avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l’on arrive à tout.

LE COMTE: … Il ne faudrait qu’étudier un peu sous moi la politique.

FIGARO: Je la sais.

LE COMTE: Comme l’anglais: le fond de la langue !

FIGARO: Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter; mais feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ingore, d’entendre ce qu’on ne comprends pas, de ne point ouïr ce qu’on entend, surtout de pouvoir au delà de ses forces; avoir souvent pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point; s’enfermer pour tailler des plumes et paraître profond quand on n’est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage, défendre des espions et pensionner des traîtres, amollir les cachets, intercepter des lettres et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets: voilà toute la politique, ou je meure !”