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– Acte III

Tableau 9

BEAUMARCHAIS: Monsieur le Duc d’Aiguillon, je crois que vous avez été informé …

D’AIGUILLON (sûr): Au fait, je l’ai été. Je suis le plus informé des ministres de France .

BEAUMARCHAIS: C’est ce que tout le monde sait. (Continuant) … Je fus envoyé en Grande Bretagne sur l’ordre de Sa Majesté Louis XV …

D’AIGUILLON: Donc vous reconnaissez tout seul et sans que personne vous y contraigne d’avoir été en Angleterre …

BEAUMARCHAIS: Je vous le fait savoir puisque c’est mon devoir …

D’AIGUILLON: En vérité, c’est le devoir de tous ceux qui font leur devoir et ne doivent pas rester mes débiteurs, ce que je ne puisse les conseiller.

BEAUMARCHAIS: J’ai contacté de Morande: l’expédition de sa libelle et du Gazetier fut arrétée jusqu’à mon retour avec 20.000 francs et une rente de 4.000 pour le nommé Théneveau de Morande.

D’AIGUILLON: En vérité, vous ne mentez pas; je savais tout, monsieur …

BEAUMARCHAIS:… de Ronac, le chevalier de Ronac, Excellence; c’est mon nom conspiratif, l’anagrame du nom de mon père.

D’AIGUILLON: En vérité, c’est bien de ne pas conspirer sous notre propre nom. Donc, monsieur Anagrame, c’est le seconde partie de votre mission qui commence. Vous retournerez en Grande-Bretagne comme vous l’avez dit, vous contacterez de Morande, comme vous l’avez dit, vous lui tirez les vers du nez, pour apprendre quels sont les Français qui se tiennent dans son ombre, comme vous l’avez dit …

BEAUMARCHAIS: Votre Excellence, je n’ai pas dit tant de choses pour ne savoir plus ce que j’ai dit … Or …

D’AIGUILLON: En vérité, c’est ce que vous n’avez pas dit. Mais, comme vous l’avez dit, vous l’auriez dû dire … Donc, il doit s’agir d’un complot, de Morande n’est que l’instrument, comme vous l’avez dit, la tête respire en tête-à-tête avec Sa Majesté. Vous apprendrez son nom, comme vous l’avez dit, et à l’aide de quelques agents que vous aurez à votre disposition, de Morande mordra et je l’aurai tout ficelé.

BEAUMARCHAIS: Son Excellence est trop généreuse …

D’AIGUILLON: En vérité.

BEAUMARCHAIS: Son Excellence est trop généreuse de m’attribuer un plan si bien conçu …

D’AIGUILLON: En vérité, le plan est très intelligemment conçu, comme vous l’avez dit.

BEAUMARCHAIS: Mais …

D’AIGUILLON: Mais ?

BEAUMARCHAIS: Mais Son Excellence paraît ne pas avoir été avertie que mon rôle est celui d’un modeste négociateur qui, par le succès de son entreprise – à peu près commerciale – espère seulement la grâce que Sa Majesté concède à ce que les deux procès qui m’ont ruiné soient enfin jugés.

D’AIGUILLON: En vérité, ils vous ont ruiné. Vous êtes terrassé.

BEAUMARCHAIS: Puisque je suis terrassé pour de bon, je vais rester un homme honnête. Un négociateur, pas un dénonciateur, ni un sbire de la police secrète.

D’AIGUILLON: En vérité, je suis d’accord que vous êtes un négociateur sans avenir.

BEAUMARCHAIS (des pas vers le nouveau cône de lumière qui éclaire de Sartines ): Mon cher Sartines, je vous remercie de m’avoir facilité cette entrevue, avec Louis XV. Il m’a sauvé l’honneur. Moi le sien. De Morande m’a remis tous ses imprimés. Je les ai brûles moi-même dans un four à chaux désafecté, pas loin de Londres. De plus, le gouvernement anglais a signé un acte par lequel il s’engage d’empêcher dorénavant la publication de tout pamphlet contre la Cour de France. Aidez-moi de nouveau, cher Sartines, de communiquer personnellement ces nouvelles au Roi et de le prier qu’enfin mes procès soient … Quand croyez-vous que je pourrai le voir ?

SARTINES: Vous ne pourrez plus le voir, Beaumarchais; Louis XV est mort. Tout au plus Madame du Barry pourrait vous dédommager de vos dépenses, mais nous devons nous dépêcher. C’est bien probable que Louis XVI ne tardera de l’éloigner.

BEAUMARCHAIS (stupéfait): Sartines … Sartines … que puis-je faire ?

SARTINES: Rendez-vous utile au Roi. Tout dirigeant a besoin de victimes. Offrez-lui votre tête.

(Nouveau cône de lumière.)

BEAUMARCHAIS: Vous comprenez, Jacques, mon ami, quand je fut honnête, dans le cas de Louis XV, j’ai payé son honneur de ma bourse. Maintenant on a encouragé mon mensonge d’une somme considérable, escamotée au trésor de l’État, qui me fut offerte pour les dépenses prévues et imprévisibles.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Et bien sûr, vous portiez dans votre coffre, le pamphlet que vous avez écrit contre le trône dans l’intention de ,éditer en Grande-Bretagne, annonçant en même temps à tambour battant que vous y allez pour empêcher sa publication.

BEAUMARCHAIS: En Angleterre, comme jadis, j’ai demandé au lord Rochford l’aide de la police britannique …

JACQUES COQUAIRE-FILS: … contre vous-même.

BEAUMARCHAIS: Et je vous prie de me croire, je me poursuivais avec l’acharnement d’un chien enragé. J’étais arrivé à ne plus me détacher de mon ombre.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Vous voulez dire de l’inexistant Angelucci, le nom que vous prétendiez appartenir à l’auteur du pamphlet fantôme.

BEAUMARCHAIS: Et pour faire la preuve qu’il était un péril public je lui ai inventé un nom conspiratif aussi, pour l’usage des délicates oreilles anglaises: mister Hatkinson.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Et si le lord Rochford aurait fait main basse sur mister Hatkinson, alias signor Angelucci, alias monsieur de Beaumarchais ?

BEAUMARCHAIS: Un moment, alias le Chevalier de Ronac, alias monsieur Caron de Beaumarchais! Pas d’espoir qu’il en réussit.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Même pas le moindre ?

BEAUMARCHAIS: Même pas.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Vous étiez si sûr de vous ?

BEAUMARCHAIS: Pas de moi, mais du lord Rochford. Je savais l’avoir bien enmerdé à l’occasion de notre première affaire. Oh, il était bien dégouté de ma collaboration. Je comptais sur le non imixtion de l’Angleterre dans nos affaires intérieures …

JACQUES COQUAIRE-FILS: Et ?

BEAUMARCHAIS: J’ai gagné. Ce fut un coup de maître. Rochford me laissa comprendre que la seconde invasion de son cabinet sentait trop le mystère pour qu’il s’y sente à son aise. Et Louis XVI m’a expédié un ordre écrit par sa propre main et conçu par moi-même. (Un nouveau c ô ne de lumière. Louis XVI à son écritoire; Sartines lui dictant ce que Beaumarchais crie de l’autre côté de la scène.) Hé, Sartines, vous pouvez m’entendre ?

SARTINES: C’est sûr. Je ne suis pas sourd.

BEAUMARCHAIS: Je ne le pensais pas. Vous qui représentez la censure et la police secrète, vous réunissais dans un seul être les deux oreilles de l’État. Je criais parce que c’est long de Londres à Paris. Vous êtes prêt ?

SARTINES: Êtes-Vous prêt, Votre Majesté ?

LOUIS XVI: Prêt, Sartines.

SARTINES: Prêt, Beaumarchais ?

BEAUMARCHAIS: Alors, écrivez!

SARTINES: Alors, écrivez, Votre Majesté!

LOUIS XVI: Alors, j’écris.

BEAUMARCHAIS: Le sieur de Beaumarchais …

SARTINES: Le sieur de Beaumarchais …

LOUIS XVI: Le sieur de Beaumarchais …

(Sartines et Louis XVI répéteront le texte de Beaumarchais d’après ce modèle.)

BEAUMARCHAIS: … chargé de mes ordres secrets … partira pour sa destination … le plus tôt qu’il lui sera possible … La discretion et la vivacité qu’il mettra dans leurs exécution … sont la preuve la plus agréable qu’il puisse Nous donner de son zèle pour Notre service …

SARTINES (toux génée): Hem, hem, … ici, disons, Votre Majesté, hum, sont nécessaires … pendant toute la période … qu’il sera à Nos ordres. Un point c’est tout.

BEAUMARCHAIS: Pas du tout! Ou cela sera comme je l’ai dit, ou je laisse échapper Angelucci!

SARTINES: Y-a rien à faire, Votre Majesté … Beaumarchais nous est trop utile. Nous devons accepter sa formule … Beaumarchais!

BEAUMARCHAIS: Sartines ?

SARTINES: Que votre volonté soit faite!

BEAUMARCHAIS: Aucunement, jamais je n’aurais la témérité d’imposer mon vouloir dans la présence de Sa Majesté. (À Jacques Coquaire-Fils .) Réserves faites pour son absence, c’est-à-dire tout le temps. Jacques, n’est-ce pas ? quand m’arrive-t-il de voir le roi ? (À Sartines .) Vous connaissez le texte … Dictez-le vous mêmes à notre Souverain bien aimé.

SARTINES: Écrivez, Votre Majesté …

(L’on éteint la lumière ici, tandis que le groupe des deux autres reste illuminé.)

BEAUMARCHAIS: J’ai fait savoir partout avec toute la conviction nécessaire que j’avais convaincu Angelucci de me céder le tirage entier de son pamphlet pour la somme de 1.400 livres. C’est-à-dire l’argent du trésor qui m’était resté dans la bourse, pas encore dépensé.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Quelle fut la rente viagère qu’il sollicita ?

BEAUMARCHAIS: Bon Dieu! C’est sûr que le pauvre Angelucci rêvaît bien de solliciter une rente viagère, et pas des moindres. Mais le malhereux Beaumarchais n’avait pas trouvé la solution pour la toucher … Qui sait, peut-être que pendant une ou deux années j’aurais pu me venger de la Cour pour tout ce qu’elle m’avait fait souffrir, mais je ne crois pas possible de me réjouir de cette pension plus longtemps. Eh, ventre-bleu, si Figaro fut à ma place …

JACQUES COQUAIRE-FILS: Êtes-vous retourné en France ?

BEAUMARCHAIS: Bah! Angelucci, quel fin salaud! un aventurier sans pareil! Imaginez-vous, Jacques, celui auquel je me fiais comme à moi-même, avait gardé deux exemplaires du pamphlet et fila vers Amsterdam. Je ne suis mis en quatre et j’ai réussi à apprendre, aux dépens de ma santé, qu’il avait décidé d’en faire sortir un nouveau tirage à Nurenberg. Ce fut la chance de ma vie de dénicher ces plans!

JACQUES COQUAIRE-FILS: Il ne s’agit pas de chance, cher ami, mais du sérieux congénital que vous avez mis à résoudre ce cas d’excroquerie internationale.

BEAUMARCHAIS: C’est le mot … Je n’ai jamais aimé me mettre en évidence. Voilà pourquoi j’ai toujours perdu.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Et vous vous êtes hâté vers Amsterdam …

BEAUMARCHAIS: Donnez-moi une autre solution. Angelucci et moi-même faisons une paire siamoise. Mais, avant de partir j’ai envoyé une missive à Sartines: ” Je suis comme un lion; je n’ai plus d’argent; mais j’ai des diamante, des bijoux.” Pouvez-vous le croire ? C’en était fait depuis longtemps. Il me fallait trouver une explication pour le fait qur je vivais plus qu’à mon aise; je ne le pouvais laisser à avoir vent de la source royale de mon luxe! “Je vais tout vendre et, la rage dans le cour, je vais recommencer à postillonner … Je ne sais pas l’allemand, les chemins que je vais prendre me sont inconnus, mais je viens de me procurer une bonne carte, et je vois déjà que je vais à Nimègue, Clèves, Dusseldorf, Cologne, Francfort, Mayence et enfin à Nuremberg. J’irais jour et nuit , si je ne tombe pas de fatigue en chemin. Malheur à l’abominable homme qui m’a forcé à faire 3 ou 400 lieues de plus quand je croyais m’aller reposer! Si je le trouve en chemin, je le dépouille de sa paperasse et je le tue, pour prix des chagrins et des peines qu’il me cause.”

 

Tableau 10

(Cône de lumière sur une chaise de poste; un Cocher autrichien sur le siège; impassible dans l’immensité de son corps et des fourrures dont il se couvre – car l’hiver est avancé. Le vent gémit d’une manière sinistre. Il neige. Hurlements de loups. Le Cocher fume la pipe, face à la coulisse. Un bon moment rien ne se passe. Brusquement, le cri d’un homme, des gémissements, des sons menaçants, un nouveau vri bouleversant. Le Cocher sursaute, hésite, descend; quelques pas et prenant une décision, il hausse sa trompe, en la faisant sonner longuement. Il prête l’oreille. Cri réitéré. Dialogue du cor et du cri. Finalement, dans le rythme de l’alphabet Morse, le signal S.O.S.)

BEAUMARCHAIS (paraît plein de sang de la tête aux pieds; ses vêtements sont mis en lambeaux; il est sur le point de s’écrouler. Il s’arrête devant le Cocher , inspire profondément et, une main sur son cour, dans l’attitude d’un ténor prêt à attaquer un air, recule d’in pas, la tête renversée et emmet un long hurlement de loup; après quoi il éclaicit sa voix et, tout comme les chanteurs d’opéra, il essaie quelques vocalises. Il se rue sur le Cocher pétrifié et se laisse tomber dans ses bras de tout son poids): C’en est finiii de môaaa! … Je me meurs! … Il m’a tuééé! … (Il essaye divers tons jusqu’à ce qu’il trouve le plus dramatique) Tuuué! … Pas ça! Tuuuééé! … Ça non plus. Il m’a tuééé! … Tu comprends ?

LE COCHER: Ich verstehe nicht . Moi … pas … parle français … Deutsch . Parlez Deutsch …

BEAUMARCHAIS: Ich spreche nicht Deutsch . Le français c’est la langue des diplomates. Tu comprends, espèce de nigaud ? des diplomates du monde entier! …

LE COCHER: Sie sprechen nicht Deutsch ? Toi … non, siffilisé …Toi … barles bas … toi hurles comme loup … pas siffilisation … Français … pouah … hurles boésie à la lune … Pas siffilisation! descend bisser … et pas bisser … hurler … Si hurles verboten bisser … Toâ … fini … bisser! …

BEAUMARCHAIS: Tu ne comprends pas, imbécile, que juste quand je … ce que tu disais, des bandits m’ont attaqué ?! qu’à leur tête était Angelucci, un ennemi sans pareil du royaume de France ? Ouvres tes yeux pour ne pas oublier son signalement, car tu vas témoigner! Il portait quelque chose comme ça … (Il dessine de ses mains dans l’air une paire de moustaches énormes, puis une barbe courte. Le Cocher l’imite.) C’est ça, comme un bouc et … (Il dessine la forme des lunettes pour montrer comme les yeux sont grands. Le Cocher idem .) Ecarquilles-les! Plus grands, plus grands! Comme ceux des crapauds! Et … (Il joue le bossu. Comme le Cocher ne l’imite pas, il le frappe sur l’épaule en le faisant se recroqueviller tant qu’on dirait qu’il ne peut plus revenir à sa position normale.) …et … (il traverse la scène comme si l’un de ses pieds étant en bois.) Vas-y! vas-y! (Il l’attrape par les hanches et lui imprime son propre rythme, comme s’ils dansaient la conga … Paraît le Bourgmestre . Les deux s’arrêtent comme deux enfants pris en faute.)

LE COCHER: Herr Bürgermeister! (Position de l’humilité. La chaise de poste disparaît. Le vent est tombé. Un valet apporte un fauteuil sur lequel s’asseoit le Bourgmestre .)

BEAUMARCHAIS: Voilà le signalement du bandit. (Il fait claquer ses doigts, comme au cirque. Le Cocher présente tout seul le numéro qu’il vient d’apprendre.): Il m’a dé-truit! … J’en vais mourir … Le Roi de France ne sera plus vengé!

LE BOURGMESTRE: Ce qui me semble curieux, cher Monsieur le Chevalier, c’est comment a pu savoir Ange …

BEAUMARCHAIS: … lucci, Excellence, Angelucci, bandit de renom européen …

LE BOURGMESTRE: … comment a pu Angelucci savoir votre intention de descendre pour … pour …

LE COCHER: Bisser, Excellence, bisser … sur fous … je aide bisser … bardon … messio …

LE BOURGMESTRE: Donc qui a pu lui indiquer le moment précis quand vous intentionniez descendre de la voiture, pour qu’il puisse vous attaquer.

BEAUMARCHAIS (pris en dépourvu): J’ai mes motifs de croire que je peux répondre à cette question délicate, mais les choses sont si périlleuses et le secret vise si haut que je ne peux me permettre de la confier à n’importe qui … Ce n’est qu’à Sa Majesté l’Impératrice Marie-Thérèse que j’ai l’intention de voir dès l’instant.

LE BOURGMESTRE (à haute voix, le fait s’arrêter): De plus … de plus … il me semble très, très curieux que vous connaissiez en détail extrèmement difficile à comprendre tous les mouvements et tous les plans des voleurs qui vous ont attaqué. Je dirais que vous êtes dans le secret de leurs intentions mieux qu’ils ne s’y connaissaient eux-mêmes …

BEAUMARCHAIS: Il devient inutile que je continue à répondre. Cet interrogatoire siérait bien à ceux qui m’ont attaqué non pas à moi, leur victime. Je l’ai déjà dit, je vais informer Sa Majesté Impériale! Et je me plaindrai de certains fonctionnaires un peu trop placides …

(La lumière s’éteint.)

Tableau 11

(Marie- Thérèse sur son trône. Beaumarchais en bandages et avec des emplâtres.)

LE COMTE DE SEILERN: Votre Majesté, Monsieur de Beaumarchais.

(Celui-ci paraît derrière lui.)

MARIE-THÉRÈSE: Monsieur de Beaumarchais, comme un vrai Ulysse, vous avez réussi à passer entre Scylle et Caribde et vous voilà reçu par Nous.

BEAUMARCHAIS: Votre Majesté, si à la place des serviteurs impériaux les archanges eux-mêmes se fussent opposés à moi, je les aurais vaincu, pour pouvoir me réjouir des rayons du soleil qu’est l’Impératrice Marie-Thérèse devant qui je tombe à genoux.

MARIE-THÉRÈSE: Vous pouvez vous relever. Monsieur de Beaumarchais, c’est regrettable d’ouïr que vous avez été la victime d’une attaque. (Beaumarchais s’effondre, tout mou, sur lépaule de Seilern .) Oh, mon Dieu, il s’évanouit! (Elle s’est relevée de son trône.) Tenez-le, soutenez-le, comte! Mais faites donc quelque chose, pour le nom de Dieu!

LE COMTE DE SEILERN (est sans pouvoir puiqu’il tient Beaumarchais dans ses bras): Oui, Majesté … Immédiatement, Votre Majesté … Une seconde …

MARIE-THÉRÈSE: Oh, comme vous êtes inhabile, Seilern! Attendez que je le soutienne. (Elle essaie d’offrir sa main à Beaumarchais ; celui-ci ouvre ses yeux et les reforme brusquement, en faisant mine de ne pas avoir vu son geste.) Non, la main n’est pas suffisante. Le pauvre homme ne se rend même pas compte que Nous lui avons offert Notre main. (Nouveau mouvement du bras vers Beaumarchais tandis que de l’autre elle touche son épaule, délicatement, pour lui attirer l’attention. Il gémit. Tenant les yeux fermés, il relève lentement ses deux bras comme s’il voulait se nicher dans ses bras.) Vierge Marie, cet homme ne peut plus résister! Seilern, soyez plus attentif! Ne voyez-vous pas qu’il me tombe dans les bras ? (Elle aide ce dernier à déposer Beaumarchais dans le trône.) Maintenant qu’est-ce qu’on en va faire ?

LE COMTE DE SEILERN: Ne vous en faites pas, Votre Majesté, c’est un simple aventurier!

MARIE-THÉRÈSE: Aventurier, entendu, mais c’est un aventurier évenoui! Seilern, est-là vraiment ce que vous croyez ? serait-il un aventurier ?

LE COMTE DE SEILERN: Votre Majesté, tout ce qu’il raconte n’est qu’un tas de mensonges consu de fil blanc. J’ai fait des investigations sur le terrain. Il n’existe point d’Angelucci; en revanche, je Vous prie de retenir, Votre Majesté, après l’incident connu, le cocher, en tirant de l’oeil à l’intérieur de la voiture, pour voir comment allait le client qui lui avait provoqué tant d’émotions, que croyez-vous qu’il a remarqué ?

MARIE-THÉRÈSE: Seilern, mon cheri ami, une impératrice ne croit pas, une impératrice sait! Je vous l’ai répété sans cesse et encore.

LE COMTE DE SEILERN: Excuses-moi, Majesté … Comme Vous le savez , il a vu son client sortant de sous sa redingote son propre rasoir et, après lui avoir essuyé la lame de ses pantalons, excusez-moi, en y ajoutant une nouvelle trace de sang ;;;

MARIE-THÉRÈSE (se sent mal; sans exagérations): Passez plus vite sur ces détails, Seilern, car … car … d’importantes affaires politiques me pressent …

LE COMTE DE SEILERN: … et il enferme son rasoir dans la boîte d’où il provenait …

MARIE-THÉRÈSE: Voulez-vous dire que … (Beaumarchais gémit.) Tiens, il se réveille, le pauvre … aventurier …

BEAUMARCHAIS (gémit. Très doucement.): Vo-tre – Ma-jes-té … Ma-jes-té …

MARIE-THÉRÈSE: Oui, cher monsieur de Beaumarchais … Nous sommes là et nous veillons sur votre sort et celui … du … monde …

BEAUMARCHAIS: Ma-jes-té … avant de … mourir … je voudrais que vous lisiez un do-cu-ment ,,,, d’état … de … la … plus … GRANDE IMPORTANCE … signé par le gendre de Votre Majesté Impériale … Qu’on m’aide … Ordonnez que je sois aidé! (Marie-Thérèse fait un signe à Seilern qui s’approche de Beaumarchais et penche son oreille auprès de ses lèvres.) Monsieur le Comte, depuis que je suis parti dans cette folle poursuite qui … VA ME COUTER LA VIE … (il gémit) je porte … sur mon cour une boîte en … or … qui contient … (prêt à perdre de nouveau sa connaissance.)

MARIE-THÉRÈSE: Dieu! Il s’évanouit encore une fois! …

BEAUMARCHAIS (avec un effort suprème, se relève. Il chancelle, toujours dans le sense contraire aux essais de Seilern de l’attraper dans ses bras. Tout à coup, il plonge sa main dans sa chemise et en sort une petite boîte d’or, grosse comme une tabatière et la tend pathétiquement à l’impératrice, en s’écriant): Seul l’or convient a renfermer les paroles d’un grand Roi, Votre Majesté! Et leur place est près de mon cour! (Marie-Thérèse veut prendre la boîte mais à cause de la pendulation de Beaumarchais on dirait qu’il retire son bras, pour ajouter.) C’est à cette Sainte Châsse minuscule en or que s’est heurté le poignard assoiffé de sang. Le bras du Roi de France … qui a conduit la plume ayant écrit ces mots … s’est étendu jusque dans les forêts d’Autriche … POUR ME DÉFENDRE! (Tombe à genoux, tête penchée, le bras respectif relevé vers l’Impératrice. Marie-Thérèse regarde significativement Seilern qui se hâte de prendre la boîte et veut l’ouvrir.)

MARIE-THÉRÈSE (en l’empêchant): Non, Seilern! C’est un document de la main de mon gendre, Louis XVI, le Roi de France! C’est à moi de l’ouvrir.

LE COMTE DE SEILERN (la lui tend): Excuses-moi, Votre Majesté, j’ai voulu Vous aider seulement.

MARIE-THÉRÈSE: Je n’ai jamais ouï dire que l’indiscrétion puisse aider! (Elle ne prend la boîte qu’après avoir fini sa phrase pour que le sens de sa réprimande soit bien assimilé; elle l’ouvre et en sort l’epître. Elle commence à lire. Seilern cherche à saisir du coin de l’oil le contenu de la lettre.) Seilern! je vous ai dit tant de fois de ne pas vous mêler de ma vie privée … (Elle a fini de lire.) Mais, monsieur de Beaumarchais, d’où vous vient-il ce zèle si … bouillant … pour les intérêts de mon gendre, et surtout … de ma fille ?

(Lui fait signe de se relever.)

BEAUMARCHAIS: Votre Majesté, j’ai été l’un des hommes les plus opprimés de la France, à la fin du règne précédent. Dans ces temps terribles la Reine n’a pas hésité à se montrer humaine … enfin; en la servant aujourd’hui, sans que je puisse au moins espérer qu’elle apprendra un jour mes sacrifices, je ne fais pas que payer une dette immense; plus ma tâche est difficile et plus mon ardeur est grande à lutter pour mener à bonne fin …

MARIE-THÉRÈSE: Mais, monsieur, pourquoi vous êtes-vous donc senti obligé de changer de nom ?

BEAUMARCHAIS: Majesté, mon malheur est d’avoir rendu mon nom trop connu dans toute l’Europe des hommes de lettres … N’importe où je me trouve, le nom de Beaumarchais provoque soit l’intérêt, soit la compassion … ou tout au moins la curiosité; je suis visité, invité, entouré par tous; donc, je ne suis plus libre de travailler dans le secret que m’impose une mission si dèlicate que la mienne.

MARIE-THÉRÈSE (quelques pas méditatifs): Dites-moi, monsieur de Beaumarchais … cet homme-là …

BEAUMARCHAIS: Ce misérable d’Angelucci, Votre Majesté ?

MARIE-THÉRÈSE: Exactement, je pensais – vous dites que nous devrions chercher Angelucci à Nuremberg. Croyez-vous qu’après cette attaque criminelle, qu’après que vous lui eussiez repris argents et libelles, il se fût dirigé vers Nuremberg, tout en sachant que c’était là-bas que vous vous rendiez vous-mêmes ?

BEAUMARCHAIS: Votre Majesté, pour le décider d’y aller je lui fis croire que mon intention était de retourner en France.

MARIE-THÉRÈSE: Monsieur de Beaumarchais … c’est bien possible que vous ayez de la fièvre. Je vous recommande chaudement de vous laisser prendre du sang.

BEAUMARCHAIS (choqué): Mon sang est à la disposition de Sa Majesté.

MARIE-THÉRÈSE (faisant signe à Seilern de la suivre et s’écartant quelques pas de Beaumarchais ): Seilern …

LE COMTE DE SEILERN: Majesté ?

MARIE-THÉRÈSE: Seilern, un certain Beaumarchais a reçu une lettre de recomandation de mon gendre la chargeant secrètement de quelque chose dont je ne suis pas au courant. Mais cet homme-là fut tué par … (elle désigne Beaumarchais ) qui lui a volé son identité en vue de je ne sais quels buts sinistre et qu’il espère réaliser sous le couvert de Notre Nom, n’est-ce pas ?

LE COMTE DE SEILERN: J’ai tout prévu, Majesté. M’est-il permis d’être son hôte pour quelques semaines, jusqu’à ce que les références de Francce nous parviennent ?

MARIE-THÉRÈSE: Faites comme bon vous semble. Vous avez la main libre. Mais grande attention à ce que la Cour de France n’en prenne ombrage. Ne laissons pas l’impression d’une imixtion dans leurs affaires …

LE COMTE DE SEILERN: Rien de transpirera, Votre Majesté. (À Beaumarchais .) Monsieur de Beaumarchais, vous êtes notre hôte bien aimé, jusqu’au moment où nous sauront comment vous aider. (Il bat des mains. Huit gardes paraissent.)

BEAUMARCHAIS (hésitant; à Marie- Thérèse ): Majesté, les intérêts de Votre Fille sont gardés pas Votre serviteur tout dévoué, à l’encontre de mon sort malhereux. (Révérences, nouvelle hésitation et il passe devant les huit soldats qui l’emmènent comme un prisonnier.)

(La lumière s’éteint.)

 

Tableau 12

(Beaumarchais se dirige vers le cône de lumière où se trouve Jacques Coquaire-Fils .)

JACQUES COQUAIRE-FILS: Cher ami, l’on ne dirait pas que la faute de Marie-Thérèse fût scandaleuse. Vous êtes un aventurier de génie qui n’a pas eu le temps d’écrire avec de l’encre toutes les comédies écrites de son sang.

BEAUMARCHAIS: Les circonstances, cher Jacques. L’homme ne doit pas accepter ce que lui dicte une société injuste. Je ne suis pas un aventurier de génie. Mes aventures m’ont conduit petit à petit vers le désastre. Celle avec Marie-Thérèse, par exemple, m’a jeté de nouveau en prison. Par contre, je suis un écrivain de quelque mérite. Mais, comme vous l’avez appris, notre excellent régime royal m’a empêché et, vous êtes mon tèmoin, continue de m’empêcher de gagner mon pain à la plume du dramaturge. Un roi qui ne tient pas compte des talents de ses sujets, de but curatif des comédies dans une société de plus en plus déchue, ne mérite point des écrivains. C’est pour cette raison que je lui ai offert les services, les flatteries et les mensonges de l’aventurier et que je me suis amusé copieusement à inventer des misères qui le détruisent petit à petit et puissent m’ ê tre tant soit peu profitables. Et le coup fatal que j’aurais pu lui assainer me fut suggéré par la belle-mère de Louis XVI. Elle-même qui, quelque grand que soit son amour pour son gendre, n’en reste pas moins une âcre belle-mère.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Il m’a semblé que c’était une belle-mère douce.

BEAUMARCHAIS: Peut-être, mais avec un goût littéraire trop avancé. Elle a insisté que je lui montrasse le pamphlet d’Angelucci. Comme il était à s’attendre – puisque c’est moi qui l’avait écrit – elle l’a beaucoup aimé. Flatté comme auteur, je lui ai proposé d’en faire une nouvelle édition à Vienne, tout en éliminant les injures trop grossières à l’adresse de son gendre. Imaginez-vous que l’idée de la taquiner un peu lui a souri. Ce fut toujours à moi de penser juste à temps que j’allais continuer à vivre en France et pas sous la jurisdiction de Marie-Thérèse.

JACQUES COQUAIRE-FILS: En voilà des pensées louable! Et comment vous a-t-on libéré ? Bien qu’il soit vraisemblable que vous vous fussiez évadé …?

BEAUMARCHAIS: Pas le moindre du monde! Sartines, le pauvre … Il s’est hâté de confirmer toutes mes inventions. Je ne puis savoir combien il y crut. Mais si l’on prouvait que je mentais, il perdait son poste, en tant que l’homme qui m’avait soutenu. Toute construction résiste grâce à ses pilons …

JACQUES COQUAIRE-FILS: … et à l’habileté du “soutenu”, qui doit agir de manière à ce que le fauteuil de son protecteur dépende du protégé. Si je n’étais sûr que ce train de vie doit changer, je ne me trouverais pas ici, à Saint-Lazare, Pierre …

BEAUMARCHAIS: D’ici là, dans un État corrompu, ce n’est pas possible de se débrouiller sans protection et – vous ne comprenez que trop – mes souteneurs n’ont pu être que des hommes cultes, qui appréciaient ma littérature. Et cela est égal à zéro, quand tu t’agite en vain entre les colosses qui détiennent le pouvoir dans l’ombre d’un tyran royal absolu.

(La lumière s’éteint. Pause prolongée.)

 

Tableau 13 

(Dans le noir, transmission au haut-parleur: applaudissements fort enthousiastes. Courte pause. Suit torrent d’applaudissements assourdissants. Cris de “bravo!”, “Figaro!”, “Beaumarchais!”, au début isolés, ultérieurement rythmés. On projette l’image de Beaumarchais en médaillon, au fond de la scène, jusqu’à ce qu’elle devienne aveuglante. La projection continuera jusque’au rideau final. Les sons disparaissent brusquement.)

LA VOIX: Septembre 1781, Le “Théâtre Français” a accepter de jouer Les noces de Figaro . Bientôt, afin d’obtenir le visa de Louis XVI, on lit la pièce devant lui. Il répond aux rires d’amusement de sa femme: “Madame, je ne veux pas qu’on joue cela; mieux voudrait raser la Bastille maintenant!” Mais Catherine de Russie offre de lancer la comédie à Saint Pétersbourg. L’auteur s’y oppose. Les noces de Figaro commencent leur carrière là où c’était leur plein droit: à Paris. Pierre Caron de Beaumarchais en fait la lecture chaque soir, pour des “initiés”. Tout Paris les connaissent. Des gens de bien de la province y accourent pour s’en délecter. En mai 1783, les acteurs reçoivent l’ordre de répéter en vue d’un spectacle désigné pour la Cour. Le 13 juin, Louis XVI interdit la première, une demi-heurre avant la levée du rideau. Le 26 septembre, une scène particulière héberge un spectacle de la comédie. C’est seulement le 27 avril 1784 qu’on déchaîne Figaro devant le peuple français. Ce fut le plus grand succès du siècle. On le devait au second Molière du monde: Pierre Caron de Beaumarchais.

BEAUMARCHAIS: Eh bien, j’ai cru avoir fini avec mes tracas. Quelque autres pamphlets me portèrent plusieurs fois à Londres. – c’étaient les véritables, ceux-là – , j’ai réussi à mettre point au scandal provoqué par la célèbre femme D’Eon. J’ai mis les bases de La Société des Auteurs Dramatiques …

JACQUES COQUAIRE-FILS: La révolution américaine aurait-elle vaincu si tu n’avais pas décidé la France de lui venir en aide ?

BEAUMARCHAIS (rires satisfaits. Vient vers la rampe. S’adresse aux spectateurs. Au loin, canonnade. Gémissements de blessés, Des houras et Yankee Doodle .): Sire, l’Angleterre connaît une crise si grande, un désordre si complet, à l’intérieur et à l’extérieur, qu’elle s’écroulerait définitivement si son ennemi l’aidait sans réticence. (Clin d’oil au public et invite de ses mains une strangulation prolongée, puis il essuie ses mains avec un mouchoir de soie immaculée.) Les Américains ont massé 38 milliers d’hommes devant les murs de Boston. Les Anglais doivent choisir entre la mort par l’inanition et la fuite à la recherche d’un refuge d’hiver. Le reste du pays est défendu par 40.000 soldats. J’affirme, Sire, qu’une telle armée est invincible tant que l’espace qu’elle a derrière soi lui permet la retraite à l’infini … (Pose.)

JACQUES COQUAIRE-FILS: Le sort de la révolution américaine fut couvé par ton enthousiasme …

BEAUMARCHAIS (revenant auprès de lui): … et par l’aide en munition et en aliments que je lui ai donné, la France et l’Espagne y étant intéressées pour qu’à la fin ces deux grands royaumes nous oubliassent moi et leurs politiques extérieures et …

JACQUES COQUAIRE-FILS: … et la révolution dépendit de ta propre bourse …

BEAUMARCHAIS: C’est la vérité. Jusqu’à la victoire finale. Je prends comme témoin Benjamin Franklin! Tout ça, cher Jacques, parce que la révolution américaine préparait la révolution française, la seul joie que je pouvais espérer …

JACQUES COQUAIRE-FILS: … puis la première des Noces et leurs 70 représentations …

BEAUMARCHAIS: Comme je vous le disais, je croyais avoir fini avec mes tracas quand, comme un coup de foudre … (comme au début de la pièce, il retire la pélerine du coffre, s’en enveloppe, prend place sur le coffre comme sur un trône et joue le rôle de Louis XVI.) Louis XVI, jouant aux cartes et prètant son oreille distraitement à je ne sais quel sale type qui me donnait perfidement …

JACQUES COQUAIRE-FILS: … La plus grande saloperie sur la terre …

BEAUMARCHAIS: Le Roi prend son sept de pique et écrit au revers: “Aussitôt cette lettre reçue, vous donnerez l’ordre de conduire le sieur de Beaumarchais à Saint-Lazare. Cet homme me devient par trop insolent; c’est un garçon mai élevé dont il faut corriger l’éducation”. Jacques, voilà sept jours d’écoulés et personne n’est venue me dire pourquoi je fus mis dans cet endroit ignoble!

JACQUES COQUAIRE-FILS: Tranquillisez-vous, frère Pierre, consolez-vous de l’idée que des milliers de Français souffrent dans les geôles sans motifs, qu’on leur dresse des causes inexistantes, que le pays entier se trouve changé en une immense prison. Vous n’êtes pas le seul, mon frère! Au contraire, vous êtes le premier qui ait dirigé vers la Bastille le canon de la Révolution qui est toute proche, qui déferlera bientôt. Ce n’est pas par hasard que Louis XVI a peur de vous. Figaro, votre Barbier, va raser l’injustice de la face de la terre. Quand vous étiez jeune, c’était vous l’Horloger du Roi. Moi, Jacques Coquaire-Fils, je vous institue HORLOGER DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. À partir de cette fin du XVIIIe siècle, grâce à vos Mémoires et à vos comédies qui ont dévoilé les injustices et les abus, la France va gagner sa liberté. Vive Pierre Caron de Beaumarchais, l’Horloger de la Révolution!

LA VOIX DE GEÔLIER EN CHEF: Beaumarchais! Beaumarchais!

BEAUMARCHAIS: Voilà la brute!

JACQUES COQUAIRE-FILS: Pas là, monsieur le Geôlier en Chef.

LE GEÔLIER EN CHEF: Beaumarchais, tu as de la veine! Une telle veine que je n’en ai jamais vu encore! Ordre de mis en liberté! (Les deux ne peuvent croire.) Vas-y, morbleu. T’as envie de rouiller ici ? Moi j’n’ai pas le temps! Si tu ne te dépêches pas , tu y reste encore une semaine, pour mon bon plaisir, ha, ha! …

BEAUMARCHAIS (Range sa pèlerine dans son coffre. Jacques l’aide. Il prend Jacques par les épaules, le regarde, l’embrasse.) À bientôt, Jacques, mon ami! Si mon nom a encore quelque pouvoir en France, je lutterai pour vous faire partir de ce trou-là.

JACQUES COQUAIRE-FILS: Ne pensez pas à moi. Dédiez-vous à Figaro. C’est notre premier combattant. Au revoir, Horloger!

BEAUMARCHAIS (L’embrasse encore une fois, prend son coffre sur son épaule. On entend siffler dans les coulisses l’air des Noces de Figaro que chante le Barbier à Chérubin.

LE GEÔLIER EN CHEF (à Beaumarchais qui est prêt de sortir.): Écoute, Beaumarchais! C’est vrai qur t’a écrit un rien qui s’apelle je ne sais quoi de Figaro ?

BEAUMARCHAIS (sortant, abattu): Oui … Oui … C’est vrai … c’est vrai, c’est moi qui aie écrit ce rien sur Figaro. (Il sort.)

LE GEÔLIER EN CHEF: Écoute, expèce de rien du tout! L’on dit qu’un loqueteux comme toi, nommé Mozart, a composé ces sept jours-ci que tu fait le roi fénéant à Saint-Lazare un opéra sur ton qué’que chose. Tu dois le poursuivre en justice. Je m’inscrit témoin contre lui si tu paies bien. (La musique de l’opéra innonde la salle.)

Rideau